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Mon premier aveugle par Dominique Martin

Avec Dominique, autrement dit Tintin, le Tintin d"Aller voir ailleurs"...

Avec Dominique, autrement dit Tintin, le Tintin d"Aller voir ailleurs"...

1. Votre premier aveugle ?
Quand j'étais enfant et ensuite adolescent je n'ai pas de souvenirs d'avoir rencontré un aveugle. Je savais que la cécité existait et tout au plus j'ai du croiser de temps à autre un aveugle dans la rue. C'était les années soixante et de l'image qu'il m'en reste, un aveugle c'est un monsieur bien habillé qui marchait dans la rue l'air un peu grave et concentré, avec une canne blanche et qui portait des grosses lunettes de soleil à la Ray Charles. Parfois certains faisaient du porte à porte pour vendre des savonnettes et des brosses pour laver le linge. Les gens achetaient volontiers ces produits ménagers en se disant entre eux « oh les pauvres, cela doit être terrible de pas voir ». En achetant, tout le monde se donnait bonne conscience et tout allait bien dans le meilleur des mondes.
A cette époque, la plus part des gens faisaient confiance aux institutions spécialisées puisqu'elles étaient là pour ça « les handicapés » dans les ateliers à rempailler des chaises et les « bien portants » n'auront plus qu'a les acheter, chacun à sa place monsieur !
L'univers des uns et des autres était plutôt clos et séparé avec peu de chances de se rencontrer et d'apprendre à se connaître.
L'heure de ma rencontre avec mon premier aveugle n'était pas encore arrivée. J'étais loin de me douter que quelques années plus tard, j'allais faire une rencontre inattendue qui marquera durablement ma vision du monde et aura été une expérience importante sur le plan, personnel et surtout le début d'une amitié forte jusqu'à ce jour.
A l'age de 18 ans, je rencontre Jean Pierre à la fontaine Saint Michel à Paris en 1974 par l'intermédiaire d'une amie Ophélie. C'était juste après la fête de « L'Humanité », nous y étions allés Jean Pierre et moi chacun de notre côté quelques jours avant notre rencontre. Cette amie m'avait dit « il faut absolument que je te fasse connaître Jean Pierre, tu verras c'est un personnage ! » Effectivement elle n'avait pas tort, s'en était un sacré pour son jeune age, vêtu la plupart du temps d'une tunique indienne avec un collier fétiche de petites clochettes tibétaines.
Il s'était déjà fait une réputation originale dans le milieu que nous fréquentions « d'aveugle voyageur ». Ce milieu était ce que nous appellerions aujourd'hui celui des réseaux alternatifs. Nous marchions sur les pas de nos aînés des années 60 qui avaient fait mai 68, influencés par la beat génération d’outre atlantique. Les premiers festivals pop, les voyages dans les pays lointains et la vie en communauté, tout cela pour dire que Jean Pierre ne pouvait que se sentir à l'aise parmi tous ces jeunes qui prenaient « des chemins de traverses » et philosophaient sur ce monde différent, en rupture avec la société de consommation des années 70 .
Si le fait d'être aveugle pouvait parfois étonner ou intriguer, il était plutôt bien accepté dans ce milieu où régnait une ouverture d'esprit qui tranchait avec la mentalité traditionnelle de l'époque. D'autant plus que lui aussi par son caractère volontaire et curieux refusait de se fondre dans la masse pour devenir plus tard kiné ou accordeur de piano. Pour lui c’était non ! Il voulait découvrir le monde, c'était son combat, sa révolte, transcender la barrière de la cécité, être lui même tout simplement. Au fils du temps nous devenions les meilleurs amis du monde. Avec lui je découvre l'univers du handicap visuel et de la « différence » comme on le dit.
Mais cette fameuse différence n'en n'était plus vraiment une pour moi, il était mon ami, je lui servais de guide, j'étais ses yeux, lui était la mémoire, la mémoire des lieux, des circonstances, des rencontres.
Nous étions dans tous les coups, les bons comme les mauvais et formions un binôme de complicité, tel un être hybride avec deux yeux, deux cerveaux et quatre jambes, nous nous sentions presque invincibles tels des héros de la mythologie grecque.
Puis en 1976, toujours en quête d'aventure comme « bibi fricotin » et son acolyte ou seulement deux pieds nickelés, les premières bandes dessinées de mon enfance, nous décidons de partir en Asie sur la fameuse « Route des Indes » et du mythique « Magic Bus ». Nous n’avions pas d’itinéraire précis ni fixé la durée de ce voyage, nous irions là ou l'aventure nous emmènera.
Nous parcourûmes une partie de cette route en auto stop et en bus qui nous fit traverser l'Italie, la Grèce, la Turquie, l'Iran jusqu'en Afghanistan. Ce fut un voyage inoubliable avec des découvertes en tout genres. J'ai contemplé et décris à mon ami les chaînes de montagnes de l'Hindou Kouch et nous nous sommes assis sur la tête du grand Boudha de Bâmiyan (disparu aujourd'hui). J'ai eu mes 20 ans avec lui en trempant mes pieds dans un des six lacs de Bandiamir. Entre deux expéditions, nous nous posions dans un petit hôtel ou une tchaikana (maison de thé) pour écrire ensemble, des récits et des poèmes. Déjà les germes de l'écriture commençaient à prendre racine chez Jean Pierre. Toutes ces aventures que j'ai vécu avec mon premier aveugle, m'en ont fait voir et vivre de toutes les couleurs.


2. Que vous évoque la cécité ?
La cécité, comme pour la plupart des voyants me fait peur bien sur. La peur de ne plus voir toutes les belles choses ainsi les visages de mes proches. Si je devais perdre la vue demain je ne sais pas s'il me resterai assez de temps pour arriver à retrouver une sorte de sérénité ou acceptation de cette privation.
Mais en ayant rencontré Jean Pierre, j'aurais au moins appris une chose ; c'est qu'avec ou sans la vue la vie vaut toujours la peine d’être vécue.

Mon premier aveugle par Dominique Martin

3. Racontez moi la rencontre dont vous rêvez avec trois personnes aujourd'hui disparues.
Difficile pour moi de répondre à cette question, trois personnes c'est peu. Alexandre le Grand avec sa femme Roxane ? Karl Marx, ?, Léonard de Vinci ...? Non, il y a tellement de gens que j'aimerai rencontrer à travers l'histoire de l'humanité. Philosophes, écrivains, artistes, savants qui ont marqué leurs temps et qui m'ont éveillé à la réflexion ou touché par leurs arts, mais aussi de parfaits inconnus comme moi, qui me raconteraient leurs vies tout simplement.
Je regrette une chose, que mon père ne soit plus de ce monde. Car je pense que je n'ai pas eu l'occasion de lui parler comme j'aurai souhaité lui parler aujourd'hui. Qu'il voit le chemin parcouru depuis l'enfant et l'adolescent en révolte contre l'éducation stricte de l'ancien militaire de carrière à celui de l'adulte plus accompli, pour lui dire que je crois l'avoir compris.


4. Qu'est ce qui vous manque ?
Mon obsession principale, c'est tout simplement le temps ! J'ai toujours à l'heure d'aujourd'hui la nostalgie de ces périodes bénies où j'ai pu prendre mon temps pour voyager, rénover une maison ou réaliser certains projets personnels.


5. Vous m'invitez à votre table, vous me faites quoi ?
Je veux bien t'inviter mais pas à ma table, tu risquerais d'être déçu, à moins que tu apprécies une bonne boîte de cassoulet ou de raviolis... Je t'inviterai quand même par talent interposé ; ma compagne est une merveilleuse cuisinière qui excelle dans les cuisines du monde, Nous mangerons des coquilles saint jacques parfumées au safran, un curry d'agneau mijoté au cidre normand ou encore une énorme paella comme on n'en trouve pas en Espagne . Le tout arrosé de vins de Loire notre région d'origine et nous ferons honneur à la vie et à l'amitié en tenant des propos rabelaisiens en souvenir de nos pères.


6. Vous avez le pouvoir de faire parler un animal, lequel et pourquoi ?
Je n'ai aucunement envie de faire parler un animal, à moi de pouvoir comprendre leur langage.


7. Que regardez vous en premier chez l'autre ?
Je n'ai jamais bien fait attention à ce que je regarde en premier chez l'autre, peut être son visage avec ses expressions qui racontent déjà un vécu.


8. Qu'est ce qui vous fait le plus peur ?
Ce qui me fait le plus peur c'est de perdre les êtres qui me sont chers, trop vite ou trop tôt ? Je préférerai disparaître le premier, il faut se rendre à l'évidence, nous ne sommes que de passage. La peur de mourir Con aussi ! sans avoir vraiment compris ce que je fais sur cette planète.


9. Où m'emmènerez vous en voyage ?
Dans quel endroit, contrée, ou pays pourrai-je t'emmener ? Tu en as déjà parcouru bien plus que moi. La destination est un prétexte, le principal est de partir ensemble et de partager à nouveau un bout de chemin.


10. Qu'aimeriez vous le plus décrire à un aveugle ?
J'ai tellement décris à mon copain aveugle que depuis il n'arrête pas d'écrire.

Mon premier aveugle par Dominique Martin
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À propos

Jean-Pierre Brouillaud

Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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