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Le camionneur mexicain

Le camionneur mexicain

Avec ma compagne nous cahotons dans un camion à travers la campagne Mexicaine. Nous sommes dans le Chiapas, région de forêts épaisses et de montagnes. Nous venons de la frontière du Guatemala, tantôt à pied, tantôt en auto-stop. Les singes, les perroquets et une myriade d’oiseaux nous accompagnent le long des pistes défoncées et routes poussiéreuses et de grosses pluies alternent avec un ciel immensément bleu.

Le camionneur qui nous a pris à son bord insiste pour savoir si je suis ou non totalement aveugle. Sa persévérance verbale finit par induire en moi des jugements teintés de suspicion : soit il ne me comprend pas bien, je suis étranger après tout, soit il est malentendant comme on dit aujourd’hui, pour ne pas froisser les sourds qui n’entendent pourtant pas ce mot citoyennement correct, soit il est stupide, ou soit… c’est moi qui ne voit pas bien clair dans le déploiement de l’instant !

Un coup de frein brutal m’apprend qu’il doit se passer quelque chose que l’absence d’yeux ne m’a pas révélé.

Ah je me cache des choses !

Mais en fait je n’ai guère le loisir de songer au pourquoi et à mes frustrations car il semble y avoir urgence pour des raisons qui pour l’heure m’échappent.

Marie me crie presque :

« Descends ! Descends ! »  

J’ouvre la portière et je saute à terre. On dirait que le camion vibre d’énervement.

Les deux sacs à dos me dégringolent dessus.

Ma compagne a à peine les deux pieds touchants terre que le vrombissant fourgon démarre comme s’il avait le diable aux trousses !

Je ne comprends rien à ce western, où manifestement j’ai un rôle secondaire, je joue dedans ou, c’est peut-être plus juste de dire que je suis joué un peu à mon insu, toujours est-il que conscient ou pas, je participe à ce décor et je voudrais bien savoir ce qui a déclenché une scène aussi inattendue.

Marie soupire profondément en regroupant nos sacs jetés à la va-vite, puis elle m’explique.

J’apprends que le conducteur rassuré de mon impossibilité de le voir, avec force œillades et gestes démonstratifs, montra à Marie ce qu’il espérait d’elle. Une gifle vexante stoppa ses élans.

Le camionneur mexicain

Nous constatons que dans l’empressement nous avons oublié notre gourde, le camionneur repenti fera-t-il demi-tour pour nous la rendre et nous porter secours, ou va-t-il la défenestrer sous l’effet de la colère pour tenter d’effacer cet échec ?

Cela c’est l’acte deux, je n’y ai pas accès, je n’ai pas été engagé comme acteur, même pas avec un rôle mineur !

Mon narcissisme en prend un coup, tant pis, plus tard quand j’aurai une maison, par exemple à Laboule, j’achèterai des miroirs et quand on me demandera pourquoi je m’entoure d’objets aussi inaccessibles à un aveugle, je répondrai que c’est le résultat d’une frustration mexicaine !

« Et si ce n’est pas vrai, ça pourrait l’être ! » ! murmure le miroir qui est fixé au mur juste en face de moi !

Reste que lorsque les miroirs parlent, il vaut mieux être sourd qu’aveugle !

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À propos

Jean-Pierre Brouillaud

Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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