23 Décembre 2015
En juin au Maroc un rêve me pose sur l’air.
Je plane, libéré de toutes tensions, étendu sur rien, un rien transparent, flottant sans poid.
le vieux rêve d’Icare me rejoint cette nuit-là.
Le lendemain je rencontre Yves Ballu chez mon ami Philippe Pozzo di Borgo. Yves est l’homme qui a fait voler à plusieurs reprises monsieur Intouchable. Il est écrivain, grand spécialiste de la montagne : mourir à Chamonix, 100 000 dollars pour l’Everest, l’impossible sauvetage du Guy Labour, de glisse et de glace, etc… Nous sympatisons et il me dit:
– Si je fais voler en parapente un tétraplégique, je peux faire voler un aveugle.
L’invitation est claire. Mon rêve était-il prémonitoire?
Cet été, pendant cinq semaines, j’ai voyagé à travers montagnes, îles et forêts primaires du Cambodge et dès mon retour, Le 24 août ,Yves me récupère à la gare de Grenoble. Exquise soirée où il me fait découvrir par le toucher de beaux et étonnants objets dont le vélocipède du grand père Léon de 1867 avec de chaque côté du guidon un repose pied, à l’époque il n’y avait pas de roue libre et en descente il fallait bien poser les pieds quelque part.
Nous parlons voyages, aventures, et quand je le remercie pour son invitation, il me retourne ce mot magnifique :
- Le bonheur, à la différence d'un gateau, plus tu le partages, plus tu en as...
Bon, suffisamment papoter, nous allons à saint-Hilaire-du-Touvet pour voler.
Je ne l’ai pas encore écris, mais l’idée de voler autrement qu’en rêve me terrorise. oui le mot n’est pas trop fort, le vide m’effraie. Le vertige? Non je ne crois pas, aveugle comment l’aurait-on? C’est une trouille mentale, plus de l’ordre de la pensée que de la sensation. Toujours est-il que la peur erre dans toutes mes alvéoles.
Je parle, questionne Yves pour maquiller l’évidence mais je ne trompe personne.
Yves avec toute sa générosité me répète plusieurs fois que si je ne le sens pas on remet ce vol en parapente aux calendes grecques. Sans le savoir, il pique mon orgueil de coq, j’ai fais le tour du monde en auto-stop et maintenant je vais abdiquer alors que l’on m’offre gracieusement une filiation avec Icare!
Je me fais décrire l’ensemble du parapente, voile, suspentes, harnais,etc… Yves m’équippe. Je tremble au-dedans. J’ai désormais cuisses et ventre sanglés.
Nous volons en binome, avec un parapente biplace. Yves est debout à mes côtés et surveille de son œil aguérit la bonne fenêtre météo pour courir jusqu’à s’envoler. Le vent devient favorable. J’entends à travers une brume où peur et refus me tétanisent presque : – cours, cours plus vite. Je démarre mais très mollement, trop mollement et la voile ne se lève pas. Echec programmé. Yves doit tout réinstaller. Seconde tentative infructueuse. Je suis mal…Je tente de faire bonne figure. Yves décrète que les conditions à saint-Hilaire-du-Touvet ne sont pas suffisamment bonnes. Nous rejoignons sa voiture et filons vers la Savoie, dans le Beaufortain, à Bisanne exactement. Après une assiette de charcuterie vite nettoyée nous foulons un alpage à l’herbe drue. Cette fois-ci je crois que je suis foutu: soit j’ose avouer que je ne veux pas voler, mais je n’ai même pas ce courage-là! soit je cours vraiment et le ciel nous accueille pour le meilleur ou pour le pire! Je réclamme la cigarette du condamné pour gagner cinq dérisoires minutes. Mais l’inévitable se représente.
Me voilà une fois de plus harnaché et flippé.
– Allez go! me crie Yves.
Je cours un peu, ça résiste, tire sur les épaules, j’accélère sur deux ou trois foulées et j’entends claquer la voile dans notre dos. Tout va très vite, je nous sens arrachés du sol. Le bout de mon pied droit frôle une touffe d’herbe. C’est émouvant cette ultime relation avec la terre. Et sans savoir ni comment ni pourquoi la terreur s’éclipse faisant place à la confiance et à un indicible bien-être.
– Assis-toi confortablement maintenant, mets-toi bien au fond de la sellette.
La voix de mon ami et ses conseils ne me font plus peur. Il y a une réelle fraternité entre nous qui circule aussi librement que l’air qui nous porte, nous entoure.
Je retrouve les sensations de mon rêve au Maroc. De doux courants ascendants nous élèvent gentiment, nous berçant. Ce baptême de parapente a quelque chose de maternant, comme si l’air ne nous voulait que du bien.
Yves me décrit les paysages qui glissent sous notre aile, rouge et blanche, les forêts, les villages. Je ne perçois aucune rumeur qui me ferait dire qu’il existe quelque chose au-dessus du quel nous volons. Tout est silence, silence et air. Extrême légèreté.
Sans doute que je pense en arrière-plan à Philippe devenu tétraplégique après une chute de parapente car en parlant à Yves je l’appelle Philippe. Je n’ai pas l’impression que c’est l’appréhension qui me fait songer à Philippe mais le désir de l’emmener avec nous, de lui montrer ces paysages qu’il aime tant, cette sensation de liberté. Oui nous sommes bien tous les trois, le tétra, l’aveugle et l’ami qui leur permet de devenir oiseaux le temps d’un vol.
Je n’éprouve aucune crainte devant l’aterrissage – l’aterro comme dit Yves:
– Quand on frôle le sol je te préviens et tu cours dans le vide jusqu’à ce que tes pieds rencontrent la terre.
Mon pied droit semble se bloquer sur une petite butte herbeuse, résultat on s’étale l’un sur l’autre en riant comme les éternels gamins que nous sommes.
Inutiles de préciser que je suis enchanté et que la prochaine fois, quand la fenêtre météo sera favorable je ne me ferai pas prier pour courir vers le ciel !
Avec le parapente ramassé dans son sac nous allons faire un sport que je maîtrise nettement mieux, de l’auto-stop pour rejoindre la voiture d’Yves à une vingtaine de km ; merci à Rémi et Valérie qui nous y ont accompagné.
Naturellement nous appelons du Cernix monsieur intouchable assez longuement pour partager notre vol, nos émotions et les inévitables plaisanteries.
Merci Yves. Merci Philippe.
Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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