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Le voyageur et le chien

Le voyageur et le chien
Le voyageur et le chien
Le voyageur et le chien

Il est assis sur un banc de pierre devant le palais des Doges

Une ombre furtive lui tend le livre Les Merveilles du Monde, de Marco Polo

Il se dit que tout est possible quand nos montres sont réglées sur la grande horloge

Il reconnaît Vivaldi et son piccolo.

 

Sans réfléchir, à un clochard haillonneux il donne le livre

Persuadé que les biens sont l’ennemi du Bien

Sur la lagune se répand un crépuscule d’or, de sang et de cuivre

À ses pieds, en grognant d’aise, s’allonge un chien.

 

Il se sait en quête du sourire éternel

Celui qui ne s’efface pas devant la mort

En quête et en manque de son jumeau originel

Et pour cela ou pour autre chose il navigue de port en port.

 

Aujourd’hui Venise, splendeur d’un vaisseau au destin tragique

Ravive en lui un déroutant souvenir de déjà vu

Avec ses blancs escaliers, palais, ponts et fiers portiques

Ses veines d’eau ouvertes sur des cieux imprévus.

 

À ses pieds, le chien, pelage roux et feu

Un carnet, un crayon, il écrit ce qui lui vient :

 

J’ai pendu ma quête de sens à un rayon de soleil dissident.

À la naissance, une amnésie.

Notre job ?

Retrouver la mémoire,

Pas celle qui se souvient, ni anticipe,

Celle, En joie, qui goûte le tout dans chaque instant.

 

Hier ou avant-hier, blasé de rouler des cigares

Voile et vent debout il a quitté La Havane

En quête d’un nouveau regard

Pour une bourgade d’insectes et de poussière en pleine savane.

 

Une pause, un clin d’œil complice au chien, il continue à épuiser le sang de son crayon :

 

Vivons, vivons insolemment,

Pas la vie que veulent nous faire endosser profs, parents.

Cessons de nourrir les mortifères tentations,

Les vertus du marché, le cac quarante, le besoin de consolation,

Acceptons les couleurs insoumises de nos émotions

Et tournons le dos aux appropriations.

 

Vivons, vivons intensément la tête à l’envers pour que nos flux sanguins s’inversent,

Que le réel nous traverse,

Que nos pensées achèvent de croire qu’elles savent quelque chose,

Pour que la joie nous transporte sans cause

Et que nous cessions de peindre des portes ouvertes sur nos murs,

Jusqu’à ce que la mort admette son imposture.

 

Une nuit lointaine de larmes poivrées, l’aimée l’a invité à faire son sac

Il a cru que tout était fini

Il a pris ses clics, ses clacs et son hamac

Et s’est retrouvé au cœur de l’Abyssinie.

 

Une caresse sur la tête du chien qui le regarde avec des yeux d’une sobre tendresse.

Une autre main, invisible la main, semble tenir la sienne et tracer des mots sur le papier :

 

Restons sur le quai et laissons filer les passagers des trains ivres d’ultracrépidarianisme.

 Mais d’où je tiens ce mot, se demande-t-il, intrigué.

 

Intimement il sait que la vie ne se met pas en conserve

Qu’il n’y a pas de date de péremption pour la mort

Si nous sortons de notre réserve

Et allons sans repère et sans bord.

 

Le chien soupire, se lève, s’étire, pète et s’en va.

 Il écoute le présent avec l’oreille du ciel.

 Il jette son sac sur son épaule et se dit, tandis que l’horizon l’appelle :

 Vivons, ou plutôt laissons-nous vivre par plus grand, plus aimant que nous.

 

 
 
Le voyageur et le chien
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À propos

Jean-Pierre Brouillaud

Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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N
"Vivons, ou plutôt laissons-nous vivre par plus grand, plus aimant que nous."<br /> <br /> Cher Jean-Pierre, une photo prise cet après-midi à vous décrire, <br /> en résonance à votre écrit : <br /> <br /> * Une route de campagne qui partage sa surface entre bitume par côtés et duveteuse végétation en son centre. <br /> Elle ne voit pas le soleil de toute l'année, orientée d'Est en Ouest, elle ne perd pas pour autant le Nord. <br /> Au pied d'un Roc Plein Sud, elle conduit, qui s'y laisse porter, vers le petit cimetière de Fontalès... <br /> en montant vers une trouée de Lumière, sertie d'une douce verdure, tout au bout un Soleil bien plus grand<br /> semble attendre "Les Aimants (attirés !)" pour Les Aimer *<br /> Nat_allie
Répondre
J
Merci pour ce beau texte qui fait écho au mien et invitera mon voyageur à découvrir cette route où l'attend le soleil.