2 Novembre 2024
Il est assis sur un banc de pierre devant le palais des Doges
Une ombre furtive lui tend le livre Les Merveilles du Monde, de Marco Polo
Il se dit que tout est possible quand nos montres sont réglées sur la grande horloge
Il reconnaît Vivaldi et son piccolo.
Sans réfléchir, à un clochard haillonneux il donne le livre
Persuadé que les biens sont l’ennemi du Bien
Sur la lagune se répand un crépuscule d’or, de sang et de cuivre
À ses pieds, en grognant d’aise, s’allonge un chien.
Il se sait en quête du sourire éternel
Celui qui ne s’efface pas devant la mort
En quête et en manque de son jumeau originel
Et pour cela ou pour autre chose il navigue de port en port.
Aujourd’hui Venise, splendeur d’un vaisseau au destin tragique
Ravive en lui un déroutant souvenir de déjà vu
Avec ses blancs escaliers, palais, ponts et fiers portiques
Ses veines d’eau ouvertes sur des cieux imprévus.
À ses pieds, le chien, pelage roux et feu
Un carnet, un crayon, il écrit ce qui lui vient :
J’ai pendu ma quête de sens à un rayon de soleil dissident.
À la naissance, une amnésie.
Notre job ?
Retrouver la mémoire,
Pas celle qui se souvient, ni anticipe,
Celle, En joie, qui goûte le tout dans chaque instant.
Hier ou avant-hier, blasé de rouler des cigares
Voile et vent debout il a quitté La Havane
En quête d’un nouveau regard
Pour une bourgade d’insectes et de poussière en pleine savane.
Une pause, un clin d’œil complice au chien, il continue à épuiser le sang de son crayon :
Vivons, vivons insolemment,
Pas la vie que veulent nous faire endosser profs, parents.
Cessons de nourrir les mortifères tentations,
Les vertus du marché, le cac quarante, le besoin de consolation,
Acceptons les couleurs insoumises de nos émotions
Et tournons le dos aux appropriations.
Vivons, vivons intensément la tête à l’envers pour que nos flux sanguins s’inversent,
Que le réel nous traverse,
Que nos pensées achèvent de croire qu’elles savent quelque chose,
Pour que la joie nous transporte sans cause
Et que nous cessions de peindre des portes ouvertes sur nos murs,
Jusqu’à ce que la mort admette son imposture.
Une nuit lointaine de larmes poivrées, l’aimée l’a invité à faire son sac
Il a cru que tout était fini
Il a pris ses clics, ses clacs et son hamac
Et s’est retrouvé au cœur de l’Abyssinie.
Une caresse sur la tête du chien qui le regarde avec des yeux d’une sobre tendresse.
Une autre main, invisible la main, semble tenir la sienne et tracer des mots sur le papier :
Restons sur le quai et laissons filer les passagers des trains ivres d’ultracrépidarianisme.
Mais d’où je tiens ce mot, se demande-t-il, intrigué.
Intimement il sait que la vie ne se met pas en conserve
Qu’il n’y a pas de date de péremption pour la mort
Si nous sortons de notre réserve
Et allons sans repère et sans bord.
Le chien soupire, se lève, s’étire, pète et s’en va.
Il écoute le présent avec l’oreille du ciel.
Il jette son sac sur son épaule et se dit, tandis que l’horizon l’appelle :
Vivons, ou plutôt laissons-nous vivre par plus grand, plus aimant que nous.
Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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