30 Novembre 2009
« Au lieu de voir les choses comme vous les imaginez, apprenez à les voir
comme elles sont.
Quand vous pourrez voir chaque chose comme elle est, vous vous verrez également comme vous êtes. »
Sri Nisargadatta Maharaj.
Vous qui voyez avec les yeux, sachez que vous ne pouvez qu'imaginer ce
qu'est la perception d'un aveugle. Mais l'imagination ne provient que du
connu, se congèle en croyances, et n'a rien de commun avec l'expérience
vécue de la cécité.
Vous ne pouvez pas vivre autrement qu'en abstraction ce que vous
n'expérimentez pas vous-mêmes directement.
Tout ce que vous essayez de comprendre est teinté par ce que vous connaissez déjà ; en conséquence de quoi, la cécité vous restera à jamais étrangère.
Un aveugle de naissance, vous ne pourrez pas lui faire appréhender ce qu'est une couleur, parce qu'il n'a aucun référent commun avec vous.
Toutes vos approches demeureront théoriques. Ce sont seulement des idées
et non du vécu de première main.
Lisez cette histoire polonaise, et vous abandonnerez le fantasme du
comprendre ce qui vous est totalement étranger.
Un jour où il neigeait dru sur le "Schteytl" ( un village juif de Pologne), Srulek rendit visite à son ami et voisin C'hlaskl qui était aveugle.
C'hlaskl demande à Srulek :
« Dis moi comment c'est la neige ? »
« La neige c'est blanc et c'est froid. »
« Froid je sais, mais blanc, comment c'est ? »
« C'est comme un cygne. Un cygne c'est un oiseau blanc. »
« Ah, bien, mais je ne vois toujours pas. »
Alors Srulek croit avoir une idée de génie : il imite avec son bras et sa
main la forme du cou du cygne, prend la main de l'aveugle et lui fait tâter
cette imitation approximative de l'oiseau.
« Maintenant j'ai compris, s'écrie l'aveugle ravi, je sais comment c'est la
neige. »
Voilà l'impasse où mènent de telles tentatives qui ont pour ambition un
impossible objectif !
Quand mon ami et complice Jérôme me décrit un paysage aux sources du Gange, au pied du glacier de Gomuk, je ne fais pas l'expérience de ce qu'il
visionne, j'écoute ce qu'il dit, accueillant l'impact de ce qu'il voit.
Je n'essaie pas de me représenter ce qu'il décrit, mais de ressentir ce qui
l'anime, autrement dit, ce que le paysage provoque sur lui.
Je me réjouis du lien qu'il y a entre le paysage, Jérôme et l'auditeur que
je suis, auditeur modifié par mon propre ressenti de l'endroit, et non par
une tentative de me représenter ce que seuls des yeux peuvent contempler.
Je ne m'appelle ni Srulek! ni C'hlaskl!
Il ne suffit pas de clore les paupières pour conclure à une similitude
d'expérience avec un regard privé de vision.
Un aveugle ne voit pas tout noir, comme le supposent ordinairement les «voyants».
Un aveugle ne voit pas. Et cela dépasse l'entendement, n'est-ce pas, parce
que cela ne rentre pas dans la case où l'on range les compréhensions, ce n'est pas du un plus un égal deux, ni une formule chimique, mais du vivant, de l'incommunicable.
Regardons de quelle manière on procède communément pour tenter de
connaître quelque chose que l'on ignore?
On s'appuie sur du connu, "sur la vue", dans le cas où l'on voudrait pouvoir
comprendre la cécité, et à partir de là, on envisage son contraire, la
supposée non-vue.
Et comme cela fonctionne avec le jour et la nuit, le plaisir et la douleur,
le blanc et le noir, les paires d'opposés, les voyants se piègent en
déduisant que l'acuité visuelle a pour contraire la cécité.
Jusque-là ce n'est qu'intellectuellement vrai, mais que mettent-ils sur le
mot cécité ?
Invariablement le contraire de la lumière, donc du noir, noir total.
Dans une cave, prenons cet exemple, supprimons la lumière à quelqu'un
qui a des yeux, immédiatement l'obscurité l'enveloppe.
Il risque de prétendre, une fois plongé dans le noir, qu'il ne voit pas,
mais s'il rentre dans sa perception directe, s'il met des mots dessus, il
devrait affirmer qu'il ne voit que du noir. Ce qui revient à dire qu'il ne
voit plus ce qui l'entoure, des casiers de bouteilles, mais il voit la nuit.
S'il voit la nuit, il a encore un objet à son voir.
Un aveugle n'a pas d'objet à son regard.
En fait, si vous retirez les objets vus, y compris l'obscurité la plus
complète, comme dans la cave, que vous reste-t-il du voir, et qu'en
connaissez-vous?
Voilà ce qu'est la cécité, une vision sans objet vu, mais une vision quand
même, mais non localisable et dont les yeux ne sont plus les médiateurs.
Pour visualiser quoi que ce soit, les yeux sont indispensables ; reste qu'il
y a en chaque homme un Voir qui ne dépend ni des yeux, ni de leur absence.
Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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