26 Juin 2010
« La mort est la non-existence. Ce qui n´est pas n´existe pas.
Donc la mort n´existe pas. »
Woody Allen
Félix nous a parlé de la longue préparation à la mort de notre ami commun Georges, atteint d'un cancer, qui vit sereinement une agonie pourtant non exempte de douleur.
" Il s'est mis à jour, disait Félix, et en cela, continuait-il, il est, et il restera un exemple pour nous tous. "
Quand Félix me parlait de la préparation à la mort, je me suis bien gardé d'exposer ma propre conception, qui eut pu déborder en polémique plutôt malvenue.
C'eut été irrespectueux pour Georges que j'aime beaucoup et dont personne après tout ne peut vraiment partager ce qu'il éprouve moralement et physiquement dans sa fin de vie, pas plus que ce qu'il a fait ou pas en prévision de l'imminence de sa mort.
Il me semble que l'on ne peut pas apprendre à mourir.
On ne meurt qu'une seule fois. Où serait l'apprentissage alors ?
Tout au plus, et c'est fondamental, quand la mort apparaît, on se familiarise avec l'idée de n'être bientôt plus. Et alors, si l'on est sensible, à partir de là on fait tout pour partir le plus vide possible, c'est-à-dire que l'on met de l'ordre en parlant à coeur ouvert avec nos proches.
On ne part pas avec des non-dits, des reproches, des regrets ou des faux semblants, car ce sont alors autant de poubelles qui fermentent et opacifient la clarté dont nous avons tant besoin à ce moment crucial.
On ne laisse pas aux autres des occasions de douter, ni des choses en point d'interrogation, car dès qu'ils songeront à ce défunt intime, ils ressentiront une gène, un manque, des impressions aliénantes qui risquent de maintenir un passé non accompli et obsédant.
On devrait idéalement, à chaque inspiration, à chaque rétention, à chaque expiration, être prêt à boucler notre valise car la mort est omniprésente. Et je crois qu'une - mort réussie -, dépend en grande partie de la légèreté de notre bagage.
Et de quoi sont encombrés nos bagages ?
Souvent de mille petites choses que l'on a pas osé dire ou faire par peur des conséquences, par pudeur, par retenue ou, ose-t-on donner à entendre, par souci de ne pas incommoder l'autre. Pfff!!!
Mais ils sont surtout pesants, pour ne pas dire malodorants, car la conservation de la vie refusée, de nos impostures et tricheries, finit par empester.
Simone Weil écrit dans son livre " La pesanteur et la grâce " des mots accablants de lucidité :
" Aimer la vérité, dit-elle, signifie supporter le vide, et par suite accepter la mort. La vérité est du côté de la mort. "
Mais si l'on a pas aimé la vérité, qui constitue au jour le jour notre quotidien, que l'on a refusé bien des situations en les prétendant invivables, nous trimballons des bagages nauséabonds qui opacifient notre vacuité et l’omniprésente réalité de la mort.
Une mort réussie est, comme une vie réussie, un oui sans condition.
Un oui qui ne dépend pas d'un futur meilleur ni d'un calcul avantageux. Ce oui exclut paradis et enfer, survie, enfin tous les films où il est question d'un demain.
Ce oui là est une acceptation totale.
Mais bien sûr la mort n'est jamais venue me dire tout ça de sa bouche gloutonne.
La mort je ne la connais pas. Je crois d'ailleurs que personne ne peut la connaître car elle n'est pas un objet dont nous serions le sujet.
La mort, quand on en parle, c'est demain, ou hier, quand il s'agit de celle qui a emporté les autres!
Elle ne vient pas du dehors, peut-être même pas du dedans.
Peut-être ne vient-elle pas, et que c'est nous qui cessons d'aller.
N'est-ce pas parce que l'on veut à tout prix survivre que l'on a viscéralement peur de notre mort ?
De la mort j'ai plusieurs fois entrevu ma peur viscérale et terrifiante :
un couteau tenu par un fou à Amsterdam,
un revolver menaçant à Paris dans un squat porte des Lilas, un naufrage, etc., sans parler hélas de l'idée rampante du suicide qui hanta certaines époques difficiles de mon existence.
De la mort la plupart des gens ne connaissent qu'un non massif qui n'envisage peut-être le oui que pour se rassurer.
On ne peut pas penser la mort, pas plus que l'on ne peut penser la vie.
Le suprême défi de la vie ?
Accepter sa propre mort sans rien y mettre dessus.
Un homme devient un homme quand il a pardonné à la vie d'être ce qu'elle est. Pas avant.
Mais ce pardon-là ne peut relever que d'une extinction de l'esprit de jugement et de profit. Il procède comme l'enseigne la Bhagavad Gîtâ d'une reconnaissance du réel dans le plaisir comme dans la douleur, dans l'éloge comme dans l'adversité, dans la perte comme dans le gain, dans le triomphe comme dans la défaite.
Le pardon est gratuité intégrale. C'est un faire pour rien.
On ne peut parler du pardon et de l'amour, les fils jumeaux de
l'acceptation, que lorsqu'ils n'ont aucune finalité.
L'amour dirigée ou le pardon intéressé relèvent de l'économie de marché.
Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
Voir le profil de Jean-Pierre Brouillaud sur le portail Overblog
Commenter cet article