2 Novembre 2013
En « voyant » à travers les yeux de mon amie le film intouchable, lorsque j’apprends que l’homme qui a inspiré cette histoire existe dans la vraie vie, l’idée me vient de le rencontrer.
Entre la pensée et l’action il y a souvent un décalage, pour se déplacer dans l’espace ça peut prendre un certain temps. Plus d’un an et demi après cette séance de cinéma, je rentre du Maroc où vit Philippe Pozzo di Borgo, homme immobile en apparence, une immobilité qui fait bouger les choses et les êtres, son épouse, leurs enfants et un aide soignant qui s’occupe des soins.
Dans une campagne semi désertique, à trois kilomètres de l’océan, près d’Essaouira, se dresse la jolie maison de la famille Pozzo di Borgo, maison dessinée par un architecte Burkinabé.
Essaouira
Cela se voit au premier coup d’œil, même quand on est aveugle comme je le suis, de Philippe émane une force enracinée qui prend source incontestablement dans son extrême vulnérabilité. Notre homme pétille d’humour et de simplicité. Il parle vrai, sans doute parce qu’il ne défend rien, ne cache plus rien.
Nous avions été mis en relation par une journaliste, madame Marie Clainchard, qui avait interviewés une cinquantaine de personnes : Boris Cyrulnik, Jean-Claude Carrière… (En avril 2014 un livre paraîtra sous le titre « L’avenir est en nous », aux éditions Dangles).
A travers nos échanges de mails mon envie d’aller retrouver cet homme s’était imposée.
Nous avons parlé environ trois heures, je n’avais rien prémédité, aucune question, nous n’avons même pas abordé le concept de la résilience du moins de manière directe.
Je ne vais pas retracer nos échanges fidèlement, - j’en suis incapable -, mais je voudrais révéler un fait qui peut sembler au tout premier abord étonnant.
Philippe reçoit quantité de mails et on pourrait penser qu’ils émanent de gens dit handicapés, mais pas du tout. Ce ne sont pas les «tétras» et autres infirmitudes qui le sollicitent, mais bien des gens qui ne présentent pas de signes distinctifs extérieurement. Philippe quasi quotidiennement lit par les yeux d’Emeline et de ses assistants le vécu tragique de gens apparemment normaux. Ainsi me confie-t-il est-il devenu malgré lui une sorte de confesseur. Cet afflux de confidences et de drames existentiels l’a tellement surpris qu’il a fini par consulter un psy pour le guider, me dit-il.
Mais son aveu me fait sourire, cet homme est pourvu d’une fabuleuse capacité d’écoute sans juger et je n’ai pas l’impression qu’il a besoin, pour aider son prochain, d’autre chose que de sa tendresse bienveillante et de sa présence pacifiée.
Jean-Pierre et Philippe
Philippe allongé dans son lit, immobile, mélangeant le lourd et le léger, avec l’humour qui le caractérise, parlant de lui:
«Finalement l’horizontalité familière aux Corses permet de poser les choses, de relativiser, de s’abandonner. Bon exercice d’humilité.»
Un mot apparaît plusieurs fois dans la bouche de Philippe: considération.
Il pourrait résumer notre homme si un résumé pouvait définir un être humain.
Je perçois combien il est attentif à chacun : un coach en entreprise vient lui parler et il m’invite à rester auprès d’eux. J’écoute, tous mes capteurs dilatés.
Oui il a de la considération pour autrui, mais en fait il est considération, devrais-je dire.
Il évoque plusieurs fois son ami Jean Vanier, le fondateur de l’Arche qui a consacré sa vie aux personnes ayant une déficience intellectuelle. L’Arche est aujourd’hui représentée dans une centaine de pays. Manifestement un grand bonhomme aimant qui sait ce que la différence signifie et comment elle transforme un homme qui se met à son service.
Je peux dire que j’ai été touché par monsieur intouchable, il a une parole qui redonne la vue même aux aveugles !
On est en sa présence dans l’extraordinaire de l’ordinaire…
Un homme quasiment sans corps, si ce n’est un ressenti de douleur, ça me laisse interdit moi qui court le monde certes avec trois jambes, la canne blanche faisant office de jambe supplémentaire, pas tant pour tenir debout mais pour me repérer.
Jean-Pierre auscultant une sculpture de Mahi Binebine chez Philippe
Sur mon premier mail prise de contact j’écrivais :
Pour vous faire sourire, j'espère ? Cher Philippe, je vous livre une devinette de mon cru; certains diraient une devinette pas très citoyennement correcte :
Savez-vous pourquoi Philippe je suis votre pluriel en tant qu'aveugle?
(Petite information directionnelle, j'ai deux prothèses oculaires à la place des yeux.)
- Parce que vous : un fauteuil : " faux œil " ,
-Moi: Deux faux yeux.
La réponse de Philippe:
"Faute d'oeil, vous marchez plus vite que moi" !
Merci Philippe pour cet accueil, tu es un faiseur d’homme à ta manière.
J’ai envie de dire en guise de conclusion: écoutons la vulnérabilité.
Les vulnérabilités, elles sont ce que nous sommes même si nous croyons être forts, maîtrisant les situations, compétitifs, etc., elles nous rejoindront un jour, maladie, accident, vieillesse, crise morale, et nous montreront que notre ego ne tient pas entièrement le volant de notre existence.
Y a-t-il un pilote en nous autre que moi ? S’appelle-t-il Dieu ?
Laissons les réponses à ceux qui croient en avoir et aimons l’autre gratuitement et sans réponse.
Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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