10 Août 2012
LA TRIBUNE ARTICLE PARU Jeudi 12 avril 2012
Portrait de Jean-Pierre
Voilà une vingtaine d’années que Jean-Pierre est installé à Laboule. Au village on connaît l’homme pour son humanité, son destin atypique… On en vient à oublier le handicap. Jean-Pierre Brouillaud est atteint de cécité.
Village de Laboule -Sud-Ardèche
Un regard différent
Perché sur les hauteurs de Valgorge, Laboule a fière allure. On accède au village par une route escarpée. Le hameau est inondé de soleil, les arbres explosent de couleurs vives… Le printemps est là. On a rendez-vous avec un homme qui préfère parler de différence que de handicap.
La vue, Jean-Pierre l’a complètement perdue à la suite d’un glaucome à l’âge de 15 ans. Il a dû apprendre à voir autrement.
« Jean-Pierre ? C’est la maison avec les volets jaunes » nous indique t’on.
Jean-Pierre Brouillaud nous attend, avec son père qui l’a rejoint à Laboule il y a quelques années.
« Entrez, entrez, ne soyez pas impressionnée ». Impressionnée ? Non !
56 ans… l’homme fait beaucoup moins. Il a un sourire de jeune homme, le visage tourné dans notre direction, pas ailleurs, il nous propose un thé, quelques gâteaux. « Par où commencer ? Vous voulez que je vous raconte ma vie ? J’ai perdu la vue définitivement à l’âge de 15, 16 ans, j’étais alors dans une institution pour personnes malvoyantes. J’ai d’abord nié l’évidence, et fonctionné grâce à ma seule mémoire. Puis on m’a envoyé dans une autre école, c’est là que j’ai compris que j’étais aveugle. »
Jean-Pierre n’a que 16 ans, il part seul sur les routes de l’Inde, poussé par une souffrance qui frôle la déraison. C’est le début d’un périple qui durera des années. Inde, Népal, Afrique noire, Amazonie, Pacifique… L’homme a fait les cinq continents, « J’étais chercheur d’or en Amazonie, J’ai vécu avec des gens hors la loi, dans un village africain, j’ai fait l’Afrique noire à pied, en stop ».
Les rencontres, le défi permanent, l’aventure humaine, le dépassement de soi, l’amènent à transformer sa cécité en force. Il n’est plus handicapé mais différent et préfère d’ailleurs parler de voyage « intérieur ».
« Je n’aime pas le mot combat mais l’une des choses les plus importantes dans ma vie a été le fait d’abolir la peur, en me mettant dans des situations toujours plus audacieuses. Aujourd’hui je n’ai plus de peur. Je suis un amoureux de l’inconnu, de tout ce qui se présente, qui est complètement nouveau et qui me permet de me dépasser ».
Jean-Pierre considère sa cécité comme une chance extraordinaire :
« Cela me met en relation permanente avec l’autre ».
Et il l’avoue volontiers,
« on est rien sans les autres » : « Il y a des choses que je vois à travers les yeux des autres, le regard des autres. J’écoute et je ressens des choses, je traduis et après je reconstruis. »
Le globe-trotter rencontrera sa femme lors d’un voyage au Pérou. Aujourd’hui séparés, ils s’installeront en Ardèche, et auront une fille Leïla.
Cela fait deux ans et demi qu’il tient un blog, où il partage ses expériences, ses passions, sa philosophie : « l’illusion du handicap ».
Et depuis bientôt deux mois, il a lancé une drôle d’opération : « invitez-moi ...».
Le but du jeu : inviter les gens, où qu’ils soient, en France où ailleurs… à vous inviter. Il a déjà reçu une trentaine d’invitations, à Poitiers, Montpellier, Marseille ou encore dans les Ardennes… Dans quel objectif ?
« Ce que je veux faire ce n’est pas montrer mon nombril mais donner envie à d’autres aveugles d’oser, oser la vie ! Il n’y a pas de handicap il n’y a que des différences. »
« Etre aveugle c’est porter un autre regard sur la vie. »
Un regard différent qui pousse à l’essentiel.
Céline CLEMENT.
Vis ma vie d’aveugle !
Non Jean-Pierre Brouillaud ne se prend vraiment pas au sérieux. La preuve : « viens vivre ma vie d’aveugle » est un événement qu’il a créé l’an dernier en Provence avec des amis et auquel ont participé 150 personnes. Durant huit heures d’affilée, les participants ont expérimenté la vie d’aveugle.
Les yeux bandés, ils ont participé à des ateliers de peinture, de rencontres, des jeux tactiles, olfactifs, avant d’assister à un spectacle dans le noir et de prendre un apéro-dîner toujours dans les mêmes conditions. Ce n’est qu’à la fin du repas que les gens ont pu retirer leur bandeau !
Dans la même idée, Jean-Pierre a organisé une semaine « échange de perceptions » à Paris en janvier 2010.
Relayé par plusieurs radios, cet événement a permis de créer des rencontres entre des inconnus et Jean-Pierre dans le seul but d’échanger ses perceptions autour de l’instant présent. La réalité n’est pas toujours telle que l’on se l’imagine, selon le prisme du regard…
Prochaine opération. Une semaine entière plongée dans le noir, dans une maison troglodyte en Tourraine.
Un projet que Jean-Pierre n’hésite pas à qualifier de « thérapeutique ». « Vivre le quotidien mais dans le noir…Faire son ménage, faire son lit, la cuisine, échanger, discuter, faire la vaisselle, sa toilette, tout cela plongé dans le noir.
Cela veut dire être confronté à ses peurs, à ses difficultés, dépasser ses limites, pour se permettre de « voir » vraiment.
C’est une expérience qui va obliger les gens à s’entraider, à contacter la solidarité. C’est partir à la rencontre de soi et de la solidarité obligée. »
Pour cette aventure jean-Pierre Brouillaud recherche dix personnes, de préférence solides psychologiquement. Quatre volontaires se sont déjà manifestés.
Avis aux amateurs d’expériences insolites.
<< Invitez-moi... >>
« Invitez-moi sans me connaître pour l’audace de la rencontre. Osons l’inconnu ensemble en cette époque où la peur nous coupe souvent des autres. Rencontrons nos différences. »
Depuis deux mois Jean-Pierre Brouillaud lance cet appel aux visiteurs de son Blog. « Si vous voulez tout savoir sur la cécité et ceux qui la portent : invitez-moi. Prêtez-moi vos yeux ».
Il a reçu près d’une trentaine d’invitations, pour une fête à Marseille, une randonnée dans les Ardennes, un bal folk en Auvergne…
« Cela ne vient pas d’un manque, mais d’une envie de faire de nouvelles rencontres ».
L’Attention circulaire
L’arme secrète de Jean-Pierre Brouillaud ? L’attention circulaire. Ou comment être « ici et maintenant » à 100%, et attentif à tout ce qui nous entoure. « J’ai transformé peu à peu l’attention crispée en une attention beaucoup plus ouverte, ce que j’appelle l’attention circulaire. »
Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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