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Une leçon en auto-stop et un petit clin d'oeil au grand Arthur.

 Une leçon en auto-stop et un petit clin d'oeil au grand Arthur.

Je m'engouffre dans la voiture qui vient de freiner à ma hauteur. Je m'assois à côté du conducteur sans même songer à le remercier. Nous sommes en 1973.. 

J’ai dix-sept ans, chez moi l’âge de la conquête et de l’irrespect, de l'inconscience et du prendre sans donner. Tout me semble dû. Je suis aveugle, bordel, et j’en souffre.

Que la vie joue à manifester toutes les formes qu’elle peut engendrer parce qu’elle est libre, n’a pas encore effleuré mon dolorisme.

Ce n’est pas normal, c’est injuste, un point c’est tout !

Les infirmités, et tout ce que je considère comme n’étant rien d’autre que des formes de vies inabouties, me semble être un aveu de la nature reconnaissant ses lacunes et son imperfection.

Engourdi par ce type de croyances, je considère que l’on me doit tout, un peu comme si la nature devait s’acquitter d’une dette qu’elle aurait contracté envers moi.

Je n’interroge pas l’homme qui vient de m’arracher à l’immobilité des bords de route.

Cette voiture m’est destinée, la vie tente de réparer sa faute.

A cette époque fugueuse je ne vole pas dans les magasins, je me réattribue les choses qui devraient appartenir à tous. Je fais l’amour à tour de bras sans aimer. Je prétends jouer la carte du pacifisme, mais je suis un prédateur. Je ne vois pas l’autre, il n' est qu' un moyen de me satisfaire, rien de plus, rien de moins.

Pour toutes mes actions, j’ai des mots pour les justifier, les mentir, les rendre excusables.

Tandis que je tends le doigt vers les voitures passantes, une odeur aqueuse mêlée de verdure entêtante me raconte que la Meuse doit roucouler en écailles d’eaux grises sous un ciel bas.

 

                         

                                         la muse Meuse amuse à 17 ans...

Un homme, un visionnaire, grand voyageur, devait la contempler, au siècle dix-neuf. Lui, il s'appelait Arthur.

Il a écrit, à moins de vingt ans, " Je, est un autre ", moi, ça me passe par-dessus la tête une telle considération ontologique. C’est à peine si je réalise ce qu’altérité signifie !

Reste que j’ai son âge, celui du bateau ivre, quand il descendait des fleuves impassibles, ne se sentant plus guidé par les haleurs, celui du dormeur du val avec son trou de verdure où chante une rivière..., mais ce n’est pas parce que nous avons le même âge que la Meuse m’inspire!

Quand je me demande aujourd’hui pourquoi la Meuse ne me parlait pas, une réponse s’impose.

Sans doute parce que je n’écoutais pas. Parce que mon écoute était pleine de revendications, d’orgueil, de bruits contradictoires.

Pourtant, avec Arthur, nous avions et nous avons toujours en commun ce que les techniciens du comportement désignent comme étant un trouble de la perception : la synesthésie. Cette approche du monde lui fit écrire :

« I, pourpre, sang craché, rire des lèvres belles ».

La lettre I chez moi est flamme riante, lave en fusion. Désir rouge.

A dix-sept ans je ne sais pas encore comme l’écrivait Arthur que "la poésie naît dune alchimie du verbe et des sens" et que cette transformation donne accès à de formidables intuitions et émerveillements.

Depuis ma tendre enfance j’écris des poèmes mais ils sont trop réfléchis, pas assez ressentis, sous l’emprise de la cérébralité. 

D’emblée je parle à ce conducteur qui ne m’a rien demandé. Je déclare que je suis un être libre, que la société aliène les hommes. Péremptoire, j’émiette d’autres vaticinations du même acabit.

Il me laisse divaguer quelques secondes.

-Dis-toi bien que je ne t’ai pas pris par estime mais parce que la nature a horreur du vide comme moi j’ai horreur du bruit des bouches qui parlent pour ne rien dire. Que tu penses ceci ou cela m’est indifférent. Je ne veux pas savoir qui tu es, tu vas dans la même direction que moi, Paris, j’ai de la place, je m’arrête. Ne cherche pas de ma part une démarche philanthropique. Je réponds à une situation, à une demande, rien d’autre.
Je reste stupéfait. D’habitude mes fables impressionnent, un aveugle routard qui n’a pas froid aux yeux même s’il n’en a plus ! Une voix interne et muselée m’interroge timidement : Comment peut-t-on ne pas s'intéresser à moi, à moi avec mes histoires abracadabrantes. Pourtant je ne lui ai pas encore déballé le grand jeu, pas encore dis comment je me suis envoyé en l’air avec la femme de l’homme qui m’a recueilli au bord de la route la semaine passée tandis qu’il lisait des histoires à leurs deux gosses en les couchant ! Un peu rapide ce coït, certes, mais c’est toujours cela de pris ! La nature paie sa dette. Elle aura encore, j’espère, pour longtemps des agios de cette ordre-là... Je sais bien, comme le dit Manu, que l’on ne peut pas faire l’amour avec toutes les femmes de la terre, mais il faut quand même essayer !

-Le contrat avec moi est simple : tu parles pour ne rien dire, je te dépose au bord de ta chère route, et vive la liberté !

Une fureur noire galope dans mes veines et si je ne respire pas profondément, elle va finir par m'assaillir et prendre le pouvoir sur mon cerveau.

j’aimerai être à la hauteur de l’idée que je me fais de la liberté, remercier ce gougnafier et lui souhaiter bonne route avec son chantage à deux balles! Pourtant je calcule, spécule. Il est tard, la perspective de dormir dehors, dans cette région, et en automne, au creux d’un fossé, dans une grange, si toutefois j’en dégote une, ne m’enthousiasme pas plus que ça. Si au moins la Meuse me parlait et pouvait faire de moi un Arthur Rimbaud des temps modernes! Ma rébellion fléchie, je fais allégeance, je serre dents et poings et fais mine de dormir jusqu’à Paris.

Je finirai par réaliser à force de leçons de ce style et de réflexions qu’un auto-stoppeur se doit de respecter et d’accepter tous les conducteurs, même ceux qui par myriades passent devant lui en l’ignorant, voir en le raillant.

Personne ne doit rien à personne. Et il est nulle part écrit au-dessus de nos berceaux que nos attentes doivent être satisfaites.

Et la cécité n’est pas une erreur de la nature, mais un des possibles des yeux.

 Une leçon en auto-stop et un petit clin d'oeil au grand Arthur.
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À propos

Jean-Pierre Brouillaud

Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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