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Miracle de l'ordinaire

Miracle de l'ordinaire
Miracle de l'ordinaire
Miracle de l'ordinaire

À pied et en sac-à-dos depuis des mois. — Namasté,

Bonjour India. Y a-t-il derrière les apparences un autre moi ?

Kabir : « Contemple, en toute chose, qu’une ; c’est la seconde qui te fourvoie. »

Un errant gymnosophiste attise mon ontologique curiosité.

 

Blanche altitude, Gaumukh, un glacier grinçant, le père du Gange,

Dans ma poche son rire bleuâtre de glace redevient eau ;

Accepter que l’insaisissable soit le seul cadeau.

Transformation, tout passe, tout change.

 

Bénarès, la nuit, sur mon corps endormi, cavalcade de rats,

Cancrelats, punaises de lit, démesures, outrances,

Je comprends que les Upanishads exhortent à la transcendance.

Rencontre avec la minéralité du silence dans les grottes bouddhiques d’Ellorâ.

 

L’échoppe de Mushtaq, chrysalide de brocarts, d’étoffes et de tapis :

« Pour que la soie prospère le vers à soie doit mourir. »

Un astrologue entreprenant : « Dans vos mains votre avenir…

— Ne m’intéresse que le présent, désolé, pour vous sir, pas de roupies. »

 

Certains quêtent l’être, d’autres vénèrent les idoles,

Ces dieux figés dans la pierre, Brahma-Shiva-Vishnou,

Iconoclaste, ces adorateurs à genoux me redonnent le goût du debout.

Du nirvâna aux égouts, inclure en soi Inde géniale, Inde folle.

 

Briser le bol en terre cuite sur le sol après avoir bu le thé,

Il redevient aussitôt poussière à mes pieds,

Poussière vite recueillie et façonnée par un potier,

Ténébreux cycle des renaissances imprégné de vacuité.

 

Hampi, un ascète Jaïn : « Dans la guerre toute victoire est une défaite humaine. »

Folie, sagesse, ténu le fil qui les sépare,

Enfin, le voyage me révèle que je ne suis jamais autre part.

Sur le pont de Lakshman Jhula, « Here comes the sun », la guitare de George Harrison pleure dans mes veines.

 

Enthousiasme contagieux des chants qawwali au sanctuaire d’Hazrat Nizamuddin.

Dans la nuit poisseuse, rues de chiens affamés, peur, pierres, bâton.

Allez savoir pourquoi, sur mes lèvres, en boucles obsédantes, la Maritsa, la chanson ;

Polyphonie de vent et de sable pour un vagabond Rimbaldien.

 

Moosoori, sur le balcon de ma chambre, un singe voleur, il mériterait un coup de pied au cul !

Le shilom d’un shivaïte muet m’a mis en appétit,

À l’entrée du bidonville, une femme en haillons cuit des chapatis.

Je refuse d’y croire, mais tout semble dire qu’ici j’ai déjà vécu.

 

Un enfant pauvre d’une dizaine d’années se jette sous notre locomotive,

Mon voisin : « Karma, karma ! — No, fucking karma, sir, société responsable,

Le suicide d’un enfant accepté par le collectif m’est insupportable »,

À vingt ans, la soumission de mes voisins impuissants me fait quitter toutes les rives.

 

Calcutta, fécondités bleues et vieil or d’un raga du soir.

Métanoïa, intranquillité convertie en amour,

La Bhagavad Gita est une porte ouverte mais jamais une bouée de secours,

Pour célébrer la vie pas besoin de mantras ou d’encensoirs.

 

« Si quelqu’un prétend te montrer ton chemin, refuse,

Si tu acceptes, tu t’égareras. »

Citadelle de Chittorgarh, Leïla, belle de seize ans, ravi je marche à ton bras,

Sorti tout droit du roman de Kipling, à l’oreille Kim me murmure ses ruses.

 

Varanasi, encore et en corps, encens, cadavres en flammes, pollution, sons saturés,

Mystère, ici ils expliquent tout par la réincarnation,

L’Allemand m’est étranger, le sanscrit me ramène à la maison,

Mais d’où me vient au contact de certaines cultures ce sentiment de parenté ?

 

Venelles ombreuses de Kânyâkumârî,

Des cheveux nattés des femmes émane un parfum de jasmin.

Engelures, il neige sur le Cachemire, autocar dans le ravin ;

Sur une feuille de bananier mes doigts agiles malaxent une boule de riz.

 

Dos de chameau, dunes, désert du Thar, mer d’Arabie,

De Darjeeling à Tiruvannamalai en passant par Jaisalmer,

Ne plus comparer les opposés mais embrasser les contraires ;

Elle voulait améliorer le quotidien des femmes, ils ont tué Phoolan Devi.

 

Pour être vrai, vivant, ne plus être en représentation,

Aimer l’Inde polyglotte, polymorphe, sensorielle polychromie.

Ô Shankara, comment voir l’Un dans le multiple endormi

Et ne plus vivre la relation à l’autre à travers une sensation de séparation ?

 

L’inquiétante lame effilée du barbier glisse sur ma joue pleine de savon,

Dans le poudroiement d’or et d’indigo d’un crépuscule fragile s’élève un chant védique.

Lingam, yoni, sexualité cosmique.

Où se cachent les milans quand gronde la mousson ?

 

Kérozène, allumette, partie en fumée la boutique de l’ami cordonnier musulman,

Les clichés définissent l’Inde comme le pays de Gandhi et de la non-violence,

Salman Rushdie et Taslima Nasreen viendront mettre à mal ses croyances,

La parole subversive est aussi l’être suprême, le Brahman.

 

Atman, t’entendre dans la mélopée plaintive du mendiant,

Te sentir dans la main écailleuse du lépreux,

Mais ne plus te tutoyer, toi le Moi de ce grand jeu.

L’Inde, miracle de l’ordinaire quand le cœur redevient voyant.

 

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À propos

Jean-Pierre Brouillaud

Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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