24 Décembre 2014
Jean-Pierre s'initie à la navigation en mer
Avec Leïla, ma fille, nous retrouvons en juin Patrice Franceschi, commandant de la Boudeuse, voilier de 46 mètres avec lequel il navigue le monde aventureusement.
Nous discutons autour d’un verre dans un bar parisien. Leïla avoue qu’elle souhaite faire partie d’un tel équipage. Patrice dit qu’elle doit commencer par apprendre à « voiler ».
«Vouloir vraiment ce que l’on désire », notre échange tourne autour de cette notion, et nous voulons naviguer.
Tandis que je leurs raconte cette épisode, mes amis et voisins de Laboule, Brigitte et Alain, skippers, proposent une initiation en voilier fin octobre. Sans réfléchir à deux fois, nous nous équipons contre le froid, la pluie, le pire…
Et c’est parti !
Une petite voix raconte… Ce n’est pas Leïla :
Tu parles d’une ballade ou d’une galère ? Etre embarqué dans cette histoire, à cette époque de l’année, c’est vent à tout casser et mer agitée dans tous les sens. C’est une virée dans un monde inconnu et sans doute hostile.
Un sac de toile immense avec à l’intérieur un tissu bourré comme mis au rebut, c’était douillet et confortable comme un nid. C’était passer l’hiver au chaud, c’était assuré. Coté bouffe, c’était du plastique cette toile colorée mais je pensais bien apporter un vrai garde manger au milieu de tout ces replis de toile chaude et sèche.
Et puis un beau matin, patatras, branle-bas de combat. Je suis malmenée, emportée aux aurores, ensevelie sans ménagement à l’arrière d’une voiture archi bourrée, écrasée avec un tas d’objets divers. Congestionnée par un capharnaüm, un déferlement de sacs, je suis bloquée entre la portière et des cannes à pêche. J’attends le pire dans mon sac à voile, un nom bizarre, un spinnaker.
Transbordement avec étape caddy de supermarché, on arrive jusqu'au sol instable, le «voilier» ! J’entends l’eau juste de l ‘autre coté. Les sacs s’entassent à fond de cale. Ouf, un recoin abrité du vacarme.
Une foule de voix jeunes, des étudiants en goguette, prépare une armada de voiliers luxueux où l’alcool coule à flot. C’est les vacances de la rentrée et la fête aux bizuts.
Je préfère mon esquif au calme relatif. Mes accompagnateurs sont quatre. Ils sandwichent plus tranquillement et les reliefs du repas me calent provisoirement. Personne ne m’a remarquée. Je m’installe une cachette sans chicoter.
On est en pleine mer et j’en mène pas large. Pourtant tout le monde semble à l’aise. Il faut dire que le temps aide, tout est calme. Les mouvements sont doux et bientôt le bruit de moteur s’arrête. Le bateau glisse sereinement vers notre destinée. Nous sommes là pour le meilleur ou pour le pire !
C’est bizarre, on dirait que Jean-pierre regarde avec ses doigts. Je l’entend parler : « Ne m’en voulez pas, je touche tout et ça me plaît beaucoup. Je crois que je me repère très rapidement sur cet espace mouvant. Ce qui me plaît d’emblée c’est d’évoluer sur un plancher qui bouge. En fait rien de plus simple, il suffit de se laisser faire, de s’abandonner à la danse proposée par la mer qui se creuse et grossit alternativement.
Interdits sur les bateaux les rongeurs, c’est bien ma veine. Surtout ne pas moufter. Je serais muette, une vraie souris, mais je veux tout voir avant de mourir…
Cette première journée se passe « comme à la maison ». Pas l’ombre d’une crainte chez mes hôtes. Ça papote gentiment, et comment tu fais pour prendre un ris, et comment pour mettre l’ancre... Enfin que des mots qui ne veulent rien dire. Ils regardent la définition dans un gros dictionnaire qui s’appelle le « Merien » de son auteur Jean Merien. C’est une blague ou quoi ?
De ma cachette, je crois ne pas en voir plus que Jean-Pierre et comme il est tranquille, je me rassure moi aussi. Leïla prépare une délicieuse soupe aux fanes de radis. Brigitte cherche ses lunettes et Alain fait le beau. Et oui, c’est lui le capitaine…
Nous sommes arrivés à l’anse de l’Alicastre vers la plage Notre-Dame. Quelques bateaux sont au mouillage, c’est à dire qu’ils vont dormir seulement arrêtés par leur ancre. Chacun fera sa ronde au gré des éléments. Si le vent force, il faudra être vigilent, le point fixe peut déraper et nous partirions à la dérive…
Mais le ciel est étoilé comme dans les images des contes. Une vraie nuit d’été. Un « vieux gréement », grand ketch (à 2 mats), sans doute pour touristes plongeurs, tangue sous la faible clarté d’une nuit sans lune. La mer, ombre clémente et magnifique, est comme bienfaisante. La masse noire de l’île bruisse d’un ressac de cristal. De rares voisins scintillent sous leurs feux de mouillage et font un halo rassurant d’ou s’échappent des murmures étouffés, bientôt apaisés, engourdis, endormis. Le bleu s’enfonce dans les ténèbres, nous aussi.
Cette première journée donne la note. Chanceux comme des débutants, les éléments nous seront favorables. Nos étapes ont une douceur estivale. Les Iles d’Hyères en automne, sous le soleil et sans la foule de l’été, c’est un rêve que l’on savoure.
Tous les soirs je les voie regarder les films de Franceschi sur l’ordi qui nous emmènent dans le quotidien des peuples de l’eau.
Mazette, il y a même un documentaire sur le naufrage de la première « Boudeuse » en Méditerranée, au large de Malte, naufrage sans doute imputable à un choc violent contre un container à la dérive.
J’aurais pas voulu être sur la « Boudeuse ». Ici c’est « Tiloma » et pour le moment je préfère…
Jean-Pierre et Alain semblent de mèche… Amis à terre, ils semblent aussi s’accorder en mer.
Le troisième jour le vent forcit à 5 beaufort. JP s’attache avec un harnais de marin fixé à une « ligne de vie » pour se déplacer entre la barre et le puit de chaîne. Le reste du temps, par mer calme voir très calme, il marche sans entrave et semble assuré.
Je l’entend qui se confie : « Ce qui m’a frappé c’est le regard d’Alain. Un jour de vent de force modéré, j’y lis le savoir-faire et le connaître du vent et de la mer, je crois qu’à partir de ce moment-là ma confiance s’est installée ».
Alain dit à JP pendant que je grignote leurs miettes d’apéro : « Et si un jour on faisait les îles Cyclades ? »
Alors JP s’interroge. Il faut dire qu’il lit actuellement « le colosse de Maroussi », selon lui le meilleur livre d’Henry Miller. Il en cite un épisode qui l’a bouleversé : « A Epidaure, j’ai senti un silence si intense qu’une fraction de seconde j’ai entendu battre le cœur immense de l’univers et compris le sens de la douleur et de la souffrance ».
Et JP qui s’enflamme, un n’ième verre à la main : « Entendre le silence dans le souffle du vent, oui… Sentir l’immobilité dans le tangage, oui… Ne plus chercher à savoir si la mer est au-dessus de nos têtes et le ciel sous l’étrave du voilier, oui… Trinquer avec Poséidon au troisième apéro, oui…
La location du bateau pour une petite semaine s’est terminée le lendemain. Il semble qu’il n’y avait pas de passager clandestin au retour.
C’est à l’occasion d’une virée alcoolisée au bar de l’île du Levant que les poubelles ont été déposée à terre.
Jean-Pierre et Alain en co-écriture …
Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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