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Article pour la revue HAPPINEZ en 3 ou 5 mots...

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1. Nouvelle énergie - Courage

Je descends du TGV de Paris ; là, quatre heures d’attente pour l’autocar d’Aubenas. Une énergie inattendue réveille mon instinct créateur et me pousse vers le guichet de l'accueil.

Au cœur de l'instant, capter, transformer, ne pas être victime, avoir le courage d’incarner ses aspirations… Je m’adresse à l’employé, conscient qu’entrer en relation ouvre la porte au tiers implicite, et que deux c’est toujours plus vaste que un plus un. « S’il vous plaît, pourriez-vous passer une annonce ? — Bien sûr, de quel ordre ? — Une personne aveugle cherche une voiture pour se rendre à Aubenas. » L'employé répond d’une voix mal assurée : « Mais monsieur, on n'a jamais fait cela ! Et puis il y a un autocar dans quatre heures.  — Cette belle gare presque neuve n'existait pas, et un jour quelqu'un l'a conçue par la pensée, alors pourquoi ne pas inaugurer une nouvelle forme de requête dans les haut-parleurs ? — Mais monsieur, on n’a jamais fait cela, je vous dis ! — Moi non plus, et c'est cela qui est enthousiasmant ! »

Il m’invite à patienter, pendant qu’il téléphone. Un homme, sans doute un responsable, m'aborde : il veut bien m'aider mais il ne sait pas comment formuler ma requête. Moi non plus, mais je me tais. Tout est dans la confiance et le courage de nos élans. « Dites par exemple : “ Une personne aveugle cherche une voiture pour se rendre à Aubenas. Rendez-vous au guichet de l'accueil. ” » Il réfléchit, et son annonce résonne dans toute la gare… Un couple se présente et s’offre de m’amener à Aubenas.

Étonnante, la vie quand on ose les possibles ! Le pas en avant, le courage, c’est humblement s’aventurer au large de sa zone de confort, de ce qui est attendu, prévisible ; on réalise alors combien, sans l’autre, on ne peut rien faire, ou si peu. « On transforme sa main en la mettant dans une autre, » écrivait Paul Éluard.

 

2. Ouvrir son cœur - Accepter 

Karim est un vagabond céleste rencontré au cœur de l’Anatolie. À ses côtés, je me sentais vivre auprès d’un Épictète ou d’un Marc Aurèle, tant la relation était intemporelle. En silence et en traits d’humour, il m’apprenait à toucher de tout mon être le sens du mot « maturité », par la voie du ressenti et de la bienveillance intérieure. « Ce qui signe notre ignorance », disait-il dans un anglais parfait, « c’est de croire que ce qui nous arrive est injuste ». Je notais en Braille dans mon carnet. « Nous, les hommes, ne pouvons avoir que deux desseins : nous arracher de la souffrance par le détachement et découvrir l’amour. »

Un jour, Karim s’arrêta brusquement de marcher. Sur ma lancée, je le dépassai et fis demi-tour, incommodé à la pensée qu’il me scrutait de ses yeux pénétrants. Je le retrouvai immobile face à la mer. Puis il s’en alla sans même tenir compte du fait que mon absence de vision faisait de moi un type paumé sur un terrain inconnu. Il ne fallait plus le suivre. La plage était déserte comme au premier jour de la Création. Je me redressai et me mis à courir le long des vagues, sans me poser les questions logiques d’homme sans vue : Comment regagner la route ? Comment ne pas trébucher sur un rocher coupant ?

Plus tard, sur un quai de gare, au moment de nous séparer, Karim me dit simplement « Remember », et il s’en alla. Je sus alors que nous avions déjà été assis ensemble sur l’indicible rivage d’avant la Création, reliés par la louange et la joie, et que seul l’amour nous fait renaître.

J’étais enfin arrivé au bout du chemin de souffrance que je n’avais eu de cesse de jeter devant moi pour me croire victime. J’avais perdu l’identité de l’aveugle ; me restaient la joie d’être et la cécité, celle-ci vécue non plus comme une identité mais comme une singularité.

 

3. Gratitude 

Me voilà passant le légendaire pont de Lakshman Jhula qui enjambe le Gange, là où des mendiants implorent en récitant les mantras d'usage. Je ne m'étais pas fabriqué de comportement à adopter devant la misère ; c'était selon mon climat intérieur. Toutefois, depuis mon arrivée sur le sol indien, je découvrais à l'endroit de ces sœurs et frères démunis une gratitude qui me faisait ressentir que l’autre était bien un autre visage de moi-même.

Une de ces voix suppliantes m’aimantait. Je résistai néanmoins et poursuivis quelques pas, au bras de mon amie Kalpana – on est bien libre de faire ce qu'on veut dans cette vie ! Ma bravade bientôt céda : je n'étais plus libre de choisir, j’étais choisi, inexplicablement. Je devais faire demi tour et lui donner quelques roupies. La raison tenta bien de me persuader que, privé de regard, je ne pourrais pas identifier cette voix. En vain. Je cédai alors à la marée de confiance qui m'envahissait et me conviait à un rendez-vous mystérieux. Comment je revins vers la voix insistante, je ne sais. Les roupies tombèrent dans sa sibylle. Et des larmes de gratitude me giclèrent à gros bouillons. Une joie me berçait, m'enveloppait, hautement sensorielle.

Et je repris ma route de vagabond, avide d’aventures et de rencontres inspirantes, recueillir une moisson de mots pour l’écrivain voyageur que j’ai toujours voulu être depuis l’enfance.

 

Article paru en octobre 2020 dans le n° 53 d'Happinez.

 

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Jean-Pierre Brouillaud

Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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Y
Eh bé, c'est beau ça !
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