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Mon premier aveugle par Loris Bardi

L Bardi derrière la caméra dans le Transsibérien

L Bardi derrière la caméra dans le Transsibérien

1. Faites appel à vos souvenirs : racontez nous la toute première fois que vous avez vu ou rencontré un aveugle ?

Je peux te l'avouer lecteur, mes premières rencontres avec un aveugle sont loin d'être à mon avantage. On peut même dire qu'elles donnent honteusement crédit à mon déshonneur.

Mais nous sommes là pour être francs n'est-ce pas ? Alors je me lance.

J'ai vécu plus de dix ans à Paris dans le quartier de Montmartre. Plus précisément entre le cimetière et la rue Lepic, la rue en pente qui monte au Sacré Cœur. Tu l'as sûrement vu dans le film « Amélie Poulain », cette rue avec la boutique du fromager, du boucher et du primeur. Aujourd'hui dans la vraie vie, les primeurs ont laissé place aux boutiques de souvenirs Tour Eiffel et aux opticiens. Mais je m'égare.

Au café des Deux Moulins, un décor qui fait également partie du film, les habitués se saluaient et se parlaient encore à cette époque. Je veux dire avant que le film devienne un succès mondial et que les touristes s'accumulent sur les banquettes en skaï pour casser leur crème brulée à 9 euros du bout de leur cuillère. A l'époque donc, je prenais mon café au comptoir et il m'arrivait d'échanger quelques mots avec Catherine, une vieille prostituée qui ressemblait à ma maman. Elle terminait sa noisette, je lui souhaitais une bonne journée et elle descendait la rue pour prendre place sous une porte cochère, toujours la même près du numéro cinq. En la voyant s'en aller je ne pouvais m’empêcher d'être fasciné par son vieux gilet en laine Jacquard. Mais je m'égare.

Dans ce quartier j'y croisais aussi un aveugle qui habitait un peu plus haut sur le boulevard. Un aveugle dans le quartier, comme dans le film. Lorsque Amélie Poulain “ trouve la vie si simple et si limpide qu'un élan d'amour, comme un désir d'aider l'humanité entière la submerge tout à coup ” et qu'elle prend le personnage de l'aveugle sous son bras pour lui décrire dans une séquence très rythmée les scènes de la vie du quartier.

Je sais qu'à l'époque Jean-Pierre Jeunet, le réalisateur du film, habitait la rue Lepic. Difficile de ne pas imaginer que ce personnage lui ait été inspiré par l'aveugle que je croisais dans la vraie vie.

Dans la réalité ce monsieur n'avait pas l'air très aimable. Je parle de l'aveugle, pas de Jean-Pierre Jeunet. On peut même dire qu'il avait l'air d'avoir un sérieux problème relationnel. J'ai entendu des bribes de discussions lorsqu'il se faisait aider pour traverser une rue ou rentrer dans une boutique. Il agressait presque les gens, ne comprenait pas toujours l'aide qu'on lui proposait. La refusait une fois, la sollicitait la fois d'après, toujours de manière véhémente. Pourtant dans le film d'Amélie qu'est-ce qu'il avait l'air sympa cet aveugle ! Il me donnait vraiment envie de faire une petite balade en sa compagnie dans les ruelles du bas Montmartre. Traverser le boulevard en faisait barrage de mon propre corps si nécessaire pour le protéger des chauffards en tout genre. Lui parler du beau temps et de Catherine qui n'était pas sous la porte cochère à cet instant, trop occupée à parler du beau temps à son chaland. De l'emmener à destination, au pied des marches du métro Lamarck-Caulaincourt, sourire et orgueil du travail accompli.

Mais “ la vie est faite de morceaux qui ne se joignent pas ” comme disait Truffaut qui habitait aussi ce quartier. Et moi je faisais tout pour ne pas me retrouver à côté de l'aveugle de la vraie vie. L'éviter à tout prix, changer de trottoir si besoin mais surtout, surtout, ne pas être contraint de lui donner le bras au passage piéton. Il y a bien quelqu'un qui va s'en charger, non ? On est quand même plus de deux millions d'habitants dans cette putain de ville !

Moi je veux vivre dans le cinéma. Je fais des films pour ça. Ecrire et inventer des histoires parce que “ les films sont plus harmonieux que la vie ”. C'est François qui disait ça aussi.

Ce personnage qui sortait d'un film pour partager mes rues était bien trop réel pour moi. Il n'était, à son corps défendant pas à la hauteur de son double sur pellicule et de mes imaginations égoïstes. Il était un vrai aveugle.

Tournons la page, autre lieu, autre rencontre :

Gare du Nord, minuit, je rentre de tournage avec ma caméra en bandoulière. D'un pas décidé pour ne pas rater le dernier train de banlieue, je traverse le hall central de la gare délaissée par les voyageurs. Tout est désert. Dans la cadence rythmée de mes pas, un objet se faufile entre mes jambes et me fait trébucher. Un, deux, trois appuis, les bras moulinant l'air avant de reprendre in-extremis l'équilibre. J'injurie immédiatement celui qui m'a coupé la priorité. Tu peux pas faire gaffe!

Je me retourne... une canne d'aveugle. Plongé dans mes pensées, je ne l'avais pas vu.

Dans une séquence de film on y aurait pas cru.

L'aveugle de Monmartre...

L'aveugle de Monmartre...

2. Que vous évoque la cécité ?

Un aveuglement de l'esprit chez une personne voyante.

3. Racontez-moi la rencontre que vous rêvez de faire avec trois personnes aujourd’hui disparues ?

Le lieu déjà. Nous serions assis au bar Hemingway, le bar de l'Hotel Ritz place Vendôme.

Il y aurait Charles Bukowski, le poète qui peut utiliser dans une phrase les mots “ bière bon marché, vomi, morpion”, et qui dans la suivante peut te faire pleurer lorsqu'il décrit sa solitude intérieure.

Sur la banquette en face de lui serait assis Henri Chinaski, l'alter ego de Charles dans ses livres. J'aimerais bien les voir se parler.

Et puis il y aurait Hemingway bien sûr, parce qu'on est quand même chez lui !

                           

 

4. Qu’est-ce qui vous manque ?

Des années...

5. Vous m’invitez à votre table, vous me faites manger quoi ?

Pas mal cette tactique qui consiste à tâter le terrain des menus avant de se faire inviter.

6. Vous avez le pouvoir de faire parler un animal, lequel et pourquoi ?

Je questionnerai une espèce de lémurien qui vit en Asie et qui s'appelle le Loris. Avec ses yeux globuleux exorbités il est le seul primate au monde sécrétant du venin. Un venin très puissant qui lui sert à repousser les parasites et les prédateurs.

Je lui demanderai s'il n'est pas trop dur de porter un nom pareil.

7. Que regardez-vous en premier chez l'autre ?

Son regard, pour voir ce qu'il regarde en premier chez moi.

8. Qu’est-ce qui vous fait le plus peur ?

Le temps qui passe.

9. Où m’emmèneriez-vous en voyage ?

Attends, tu viens déjà manger à la maison et tu veux en plus que je t’emmène en voyage !

10. Qu’aimeriez-vous le plus décrire à un aveugle ?

Je me décrirai moi-même, par respect d'égalité.

Contact L Bardi :  http://lesfilmspk22.wordpress.com

Contact L Bardi : http://lesfilmspk22.wordpress.com

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À propos

Jean-Pierre Brouillaud

Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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