13 Avril 2010
Dans une province reculée de la Chine, un moine, bien qu'il se livra à un terrible ascétisme, jeûnes et prières, nuit et jour, était fouaillé par l'aiguillon de la tentation charnelle. Vaincu, il finit par descendre vers la ville qui s'étalait à environ trois jours de marche de son ermitage niché sur une montagne.
Une prostituée dont les vents avaient chuchoté le nom et les largesses d'âme même dans les vallées les plus écartées, habitait une modeste masure un peu en dehors de la cité. Cette femme, étrangère venue d'une province lointaine, négociait ou offrait son corps selon l'aisance de la clientèle et surtout la qualité de la relation.
Elle était, reconnaissait-on en ville, certes avec la voix basse de la confidence, une grande amoureuse, généreuse et sans ambition. Certains, les yeux brillants, l'appelaient la femme qui transforme. Incontestablement le fond de son être n'était plus séparé du Bouddha.
Le moine fut si aveuglé par sa soif charnelle, sa honte d'y succomber, qu'il ne vit rien de la divine beauté de cette femme. Il la prit aussi brutalement que n'importe quel rustre débordant d'alcool de riz et, pesant de culpabilité, aspirant plus que tout à l'oubli de cette scène salie par son regard de jugement, il s'enfuit de la cité.
Une fois qu'il eût regagné sa montagne, après s'être puni, purifié, lavé, savonné physiquement et moralement, le moine se glissa dans la peau du donneur d'implacables sermons, condamnant tout ces vices qui, dans sa bouche vengeresse, n'étaient qu'égarements, asservissement aux sens.
Et il se montra tout particulièrement véhément à propos des femmes qui faisaient commerce de leur corps.
Clin d'oeil de la vie, à moins que le hasard ne soit la forme que prenne Dieu pour passer inaperçu, le moine mourut au même instant que la prostituée au grand coeur et qu'un anonyme chauffeur de bus.
Au ciel, un autre mot pour dire ici, ils furent tout trois éconduit vers des états d'être leur correspondant. Mais quand le moine réalisa, ulcéré, qu'il était dirigé vers le purgatoire, alors que le chauffeur de bus allait au paradis, bras dessus bras dessous avec la prostituée, il demanda au peseur d'âme s'il n'y avait pas là un malentendu.
« L'erreur n'est pas de ce lieu ; en doutez-vous, moine oublieux ? », lui fut-il répondu.
Mais l'entêté religieux n'était pas pour autant convaincu :
« C'est moi l'homme du Bouddha, plaida-t-il, cette femme est une débauchée et cet homme un simple chauffeur qui promenait des touristes. »
Tandis que la porte du purgatoire s'ouvrait devant lui, il entendit ces paroles:
« Regarde, moine, ton existence avec lucidité, vois le décalage qu'il y avait entre tes aspirations véritables et tes prêches. Rappelle-toi combien tu fus égaré et discourtois quand tu violentas cette femme publique. Blâmes, châtiments, expiations associés à de belles et morales harangues, voilà ce qui sourdait de ta puritaine bouche.
Sache que cette prostituée avait le coeur pur en cela qu'elle n'était plus fascinée uniquement par ce que procure les désirs mondains. Elle habitait avec modestie son destin, et elle le servait de tout son coeur.
Sache aussi que lorsque des voyageurs montaient dans l'autocar de ce chauffeur, ils devenaient tous humbles et ressentaient spontanément la fragilité de leur existence. Certains se mettaient à prier tellement cet homme conduisait dangereusement.
Tu comprendras désormais pourquoi cette femme et cet homme vont
sans détour au paradis, tandis que toi tu feras une halte au purgatoire.
Tu ne vas pas dans ce lieu pour être puni, - ici il n’y a ni châtiment ni récompense -, mais pour revisiter les endroits où tu as agi emporté par tes zones d’ombre."
Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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