8 Mars 2010
Je me présente, je suis Jenny
Ayant la chance de vivre dans un corps qui fonctionne « normalement », j’ai pourtant visité à différentes reprises et de différentes manières ce que provoque l’absence d’une des fonctions habituelles du corps.
Enfant, une entorse à la main droite m’a permis d’apprendre très vite à écrire de la main gauche et ainsi à me mesurer au temps et à l’essentiel.
Il fallait trouver une autre manière de fonctionner pour obtenir un résultat, donc aller à l’essentiel et pour cela, « débrancher » des mécanismes automatiques et logiques utilisés quotidiennement de manière inconsciente et je me suis régalée à découvrir ça.
A 23 ans, au fin fond de l’Inde je me suis retrouvée totalement sourde pendant trois semaines et instantanément s’est développée en moi une autre manière de fonctionner, un « autre » sens qui me donnait les informations nécessaires en temps utile, sans savoir pourquoi, ni comment.
Par exemple, marcher à la tombée de la nuit sur une route et sauter brusquement sur le bas-côté sans savoir pourquoi et voir un rikshaw me dépasser à toute allure (qui m’aurait renversée si j’étais restée sur la route).
J’ai pris conscience que je pouvais vivre sans peur par anticipation, puisque je ne percevrais les choses que lorsqu’elles m’arriveraient, il était donc inutile d’imaginer le pire.
J’ai observé aussi à quel point la communication verbale était « bavarde » et riche de mots inutiles et comment, sourde, je comprenais et j’exprimais sans aucune difficulté l’essentiel et me passait avec bonheur de tout un tas de détails.
Le contact se faisait d’être à être et non plus d’histoire personnelle à histoire personnelle.
Par le massage et le yoga, j’ai exploré tout une palette de sensations et la globalité du corps quand le mental ne joue plus le rôle de perturbateur.
Dans mon métier d’Orthophoniste, j’ai beaucoup travaillé avec des personnes aphasiques, donc handicapées dans leur expression ou dans leur compréhension du langage et je naviguais aisément dans leur silence car je percevais un arrière-plan toujours là et disponible si on ne se crispait pas sur ce qui manquait.
Il fallait oublier le passé et la normalité pour découvrir de nouveaux aspects au-delà de la souffrance.
Jenny au Maroc avec Jean Pierre ......en guidage !!! Voir vidéo
Avec Jean-Pierre, mon ami aveugle, quand je l’ai suivi, les yeux bandés, dans son jardin, sur une échelle, en haut d’un mur, sans aucune peur et immédiatement reliée à mon centre de gravité et à mes sensations physiques, j’ai encore compris qu’il y avait des trésors à côté desquels on vivait ignorant, quand tout se passait « normalement « dans notre corps et dans notre mental.
Nous sommes aussi partis en aveugles, dans un village inconnu, j’avais mis des pansements sur mes yeux et j’ai un peu approché son monde et surtout ses facultés perceptives bien au-delà des miennes.
Quand j’ai enlevé mes pansements j’ai eu l’immense surprise de voir le paysage sur un seul plan, il n’avait plus de relief, ça a duré un instant, cet instant transitoire entre les deux mondes m’a fait prendre conscience de notre faculté cérébrale à inventer un monde qui n’est pas celui qui est devant nos yeux.
On peut donc se demander qui, de Jean-Pierre ou de moi, est le plus aveugle ?
J’ai pratiqué longtemps la Psychophanie : je récoltais ce qui s’exprimait à travers quelqu’un qui était totalement silencieux à côté de moi et ça s’écrivait sous forme de texte. On donne la parole à son « être intérieur » et c’est étrange mais extrêmement pertinent.
Avec cette pratique, je rencontrais nombre de personnes handicapées, autistes, polyhandicapés, personnes dans le coma, etc.
Dans le silence nous nous promenions ensemble, et une confiance s’établissait, je devenais traductrice des émotions, des sentiments, des interrogations, des mémoires etc.
Le silence, l’absence des mots, rejoint l’absence de vision.
C’est un passage vers une autre façon de fonctionner.
Ca ressemble au moment où on guide un aveugle.
Quand on le guide, on lui prête nos yeux et notre capacité à mobiliser notre corps en fonction de nos perceptions.
Si notre pensée intervient nous hésitons, nous butons, nous avons peur et il ressent nos hésitations plutôt que notre guidance.
Si on rencontre le chemin et l’autre sans que rien n’interfère, en étant juste prêt à agir selon ce qui est, nous parcourons le trajet ensemble comme les oiseaux qui volent en groupe sans avoir besoin de s’expliquer.
C’est une sorte de danse à deux.
Qui guide, qui est guidé ?
Le guidant, comme le guidé perçoivent et sont juste heureux de pouvoir percevoir, s’exprimer, se mouvoir.
La communication devient communion et il y a compréhension instantanée, sans passer par le mental.
C’est un vécu extraordinaire.
Quand on a vécu cela une fois, en toute intimité, c’est disponible en permanence lorsqu’on y fait appel et c’est très simple.
Les musiciens, avant de jouer, accordent leurs instruments. Ils connaissent la justesse des notes sur lesquelles s’accorder.
Chaque être peut « s’accorder », c’est simple mais nous, gens dits « normaux », sommes encombrés et n’utilisons que peu de nos facultés.
Côtoyer des personnes dites « handicapées » a toujours été pour moi une chance de découvrir à travers les différences tout un univers de possibles et je les en remercie du fond du cœur.
Jenny
Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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