13 Octobre 2018
Mon ami Pascal Ginestoux, « bidouilleur d’atmosphère » comme il aime humblement se qualifier, poète pyrotechnicien, réalisateur et directeur artistique, m’a proposé d’écrire un texte autour du thème inaltérable de la nuit et de la lumière.
Pascal Ginestoux
Le samedi 16 juin, invité par l’association ardéchoise Écran Village Chalancon, mon voyage en mots a été « féérisé » par les ors, les argents et les incandescences rouges de Pascal. Il a été dansé par Lassina Koné, artiste de Bamako, accompagné par le saxophone et la clarinette d'Olivier Jules et Olivier Darcissac, qui ont su si élégamment jouer avec l’écho, les répons et l’espace. À la pyrotechnie, on trouvait Olivier Charmon et Joël Morel. Et six éclaireurs qui ont conduit plus de cent cinquante personnes dans la nuit du sous-bois, sur un terrain légèrement accidenté.
Leïla, ma fille, m’a guidé pour le filage, l’après-midi et pendant le spectacle. Voici quelques photos qu’elle a arrachées à l’instant :
Le plus solaire des hommes fait de l’ombre à celui qui tente de le suivre.
Marchons dans nos propres pas, sans modèle. Marchons ensemble vers une solitude acceptée qui nous réunit.
Comme le dieu grec Argos, touchons la nuit avec les yeux de notre peau.
Trouvons le chemin de vie sans mémoire et sans trace.
Ernest Hemingway écrivait : « Nous devons nous y habituer : aux plus importantes croisées des chemins de notre vie, il n'y a pas de signalisation. » Alors nuit ou jour, nous marchons toujours dans l’ignorance de ce qui est.
Et avant d’illustrer de photos et de fragments de textes les six points de feu, je tiens à préciser que ce premier spectacle pyropoétique a été si fécond qu’il aura des enfants et nous sèmera sur les routes du monde ; mais chut, c’est un secret dont les clés sont entre les mains d’un dieu dont le corps est à la fois nuit et lumière, vu que son apparence dépend de celui qui le contemple !
*****
Premier Tableau
Lecture au clair de lustre, entre deux grands pins, sur la table forestière.
Un lustre de branches s'illumine tandis que je lis :
Ici, à Chalancon, la terre est balafrée de gorges sombres où dégringolent des ruisseaux, grondants en automne, presque taris aux sèches outrances des étés.
La nature, qui trempe ces géométries végétales et minérales dans le silence de toutes les origines, de la crosse d'une fougère au rocher moussu, a la capacité d'accorder le marcheur à un diapason inaudible. Cette nuit nous partons à la recherche de ce diapason.
Sur cette terre d’accueil les volcans dorment dit-on depuis longtemps, mais qui sait la profondeur exacte du sommeil d'une telle capacité d'embrasement ?
Lorsqu’un poète s’exprime, ces mots montrent que derrière nos ombres il y a toujours une lumière qui varie en intensité et couleur.
Me voilà adossé au grand châtaignier centenaire...
Est embrasé de rouge tout l'arrière plan sur une largeur panoramique.
Le contrejour dévoile les corps des troncs.
La nuit en crue réveille en moi un désir rouge et dru de dire.
Je m’adresse à toutes ces fragrances légères et humides qui racontent les fleurs ouvertes et la pierre moussue, aux sentiers secrets,
aux exhalaisons végétales sous les étoiles bienveillantes et au chant des grillons au mitan de cette nuit d’été.
Je suis certain que tous les animaux retiennent leur souffle, rampants, marchants, volants, la longue couleuvre silencieuse, les fourmis, les mulots, la gracile biche et son faon, le blaireau balourd, le sanglier trapu, la buse distante, le papillon de nuit et la chouette intrigante, toute la faune qui peuple les bois et les cieux de Chalancon.
Le grand corps noir de la nuit palpite, mais nous autres les hommes nous sommes enceints d’une petite question qui semble, à première vue, respirer à la banlieue crépusculaire de notre sensation d’exister.
Et si, maintenant, nous tentions l’impossible, c’est-à-dire mettre un mot sur cette lancinante et rouge interrogation : Où est la nuit ? Qui est la nuit ?
Troisième tableau
Hou ! la grange hululante.
Sur une souche un effet lumière stroboscope blanche fait diversion.
Par surprise, sous le porche de la grange la chouette de lumière scintille ses plumes argentées.
Le poète prétend que la chouette, même argentée, comme l’aveugle chez les Grecs, est une médiatrice entre le monde des ténèbres et celui de la clarté.
Mais faut-il traverser enfer, purgatoire et paradis
Enfin toutes les étapes de la divine comédie
Pour devenir un homme, un homme à part entière
Et vivre dans le pays de la joie qui n’a pas de contraire ?
C'est loin la ferme des prés bleus !
Mise en lumière de la ferme de l'autre côté du vallon.
Paysage de prairies – espace dégagé.
J’ai vu la cécité, je l’ai faite mienne
J’ai vu la dépendance, je l’ai apprivoisée
De Chalancon aux Philippines en passant par la mer Caspienne
Entre nous un lien pyropoétique embrasé.
Beaucoup d’hommes égarés ont perdu leur clé dans le noir, mais pourquoi la cherchent-t-ils dans la lumière de l’espoir ?
Invitons-nous à ressentir la nostalgie de l’incréé dans un atome d’air.
Vivons, vivons de la même nature que le ciel, que l’océan, au large et sans rivage, pour peut-être découvrir – peut-être – que nous sommes tous des îles reliées les unes aux autres.
Mur… mur du mystérieux monstre. On donne vie au mur de pierres sèches qui longe la petite route sur environ cent mètres.
Des artifices sont tractés sur la route (bruits de frottements).
Le public est en contrebas.
Nous sommes tous des poètes, plus ou moins conscients de notre condition d’homme inspiré, et il faut parfois créer de la magie, mettre un mur de pierres sèches en marche, pour réveiller en nous le goût enfoui de l’émerveillement, celui qui fait de nous des êtres de créativité.
Et si tout était dans tout ?
Et si ce mur de pierres sèches avait des jambes invisibles et des écailles ou des plumes et profitait de la nuit pour rompre avec l’immobilité ?
Non, mesdames et messieurs, nous ne sommes pas normaux, normal ça n’a pas de couleurs, ou plutôt celles indéfinissables du camouflage du vêtement militaire.
Normal est une manière timorée de ne pas exister, d’éteindre nos criances rouges et nos tendresses bleues, nos agonies noires et nos triomphes dorés.
Vague à l’âme, vagabond, la vie est un voyage sans retour.
Sixième tableau
C'est le final, nos vies en mouvements.
Retour au théâtre de verdure. Les courbes de la Lune et pour nos yeux, à l'horizon l'aube naissante, rayons solaires vivants en jets et fontaines or et argent… Le cycle de nos vies.
Respirons, il y a nulle part où aller.
Tout est au présent, cessons de fouler des espaces envahis de souvenirs ou d’anticipations.
Écouter, sourire, ne pas réagir, se déployer jusqu’à n'être personne.
Le poète demande :
« Comment sait-on que la nuit s'est achevée et que le jour se lève ?
— Au fait que l’on peut reconnaître un mouton d'un chien, dit un berger.
— Non, ce n'est pas la bonne réponse, dit le poète.
— Au fait, dit le fermier, que l’on peut reconnaître un figuier d'un châtaignier.
— Non, dit le poète, ce n'est pas encore la bonne réponse.
— Alors comment le sait-on ?
— Quand nous regardons un visage inconnu, un étranger, et que nous voyons qu'il est notre frère, à ce moment-là le jour s'est levé. Pas avant. »
*****
Merci à vous toutes et tous, et que vive la pyropoésie qui transforme l’ombre en lumière, la peur en confiance, la timidité en audace, faisant de notre vie une aventure à nourrir sous nos pas.
Et si la nuit était de la lumière mal aimée ?
Le cri d’une étoile qui s’éteint m’a réveillé, pas vous ?
À 22 heures, avant la promenade pyropoétique dans le sous-bois, nous avons projeté en plein air le film « Deux hommes, un regard » que j’ai coréalisé avec Lilian Vézin, photographe et réalisateur de documentaires, et d’avis général c’était magique dans la nuit naissante avec les grillons et les frisolis de vent parfumés.
Merci à toutes et tous, artistes, petites mains, sans vous ce spectacle serait resté embryonnaire.
Et pour conclure voici un témoignage :
« Merci à Pascal, l'homme qui féérise les ténèbres, de nous avoir emmenés dans les ombres et lumières de la forêt, nous faisant découvrir les explosions de couleurs dans le silence de la nuit, la présence des arbres par l'embrasement des étincelles en feu.
Pas à pas, découvrant la poésie de l'aveugle voyant, accompagnée des mouvements du danseur et ses gestes ronds, saccadés, rampant dans les profondeurs de l’obscurité, nous avons voyagé dans des vallées qui se répondent, vers des murs qui scintillent et des chouettes planant dans l'explosion du soleil. L'écho des notes des saxos en réponse à nos cœurs, nous avons navigué dans les sens acérés, nos pieds aux chevilles déliées s'harmonisant avec les pierres du chemin.
“ Bulles de joie sous chacun de nos pas ”, disait l'aveugle, mais n'étions-nous pas, nous, les aveugles de ce monde ? Et si, pour retrouver la vue, il nous fallait la perdre ?
Ses mots sortaient sous ses doigts pour nous enchanter et nous transporter, parler du pays des châtaignes, et les mots inaudibles résonnaient sans le son…
Magnifique soirée, magie de la nuit étoilée, pour sentir encore une fois qu'une autre vie est possible… »
Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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