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La nostalgie du oui

La nostalgie du oui
La nostalgie du oui
La nostalgie du oui

 Je ne dors pas, un train passe, je fume.

Où vont ces marchandises ? vers qui ? pourquoi ?

Un homme au bout du rail attend une nouvelle voiture,

Un autre homme s’endort dans les bras de celle qu’il aime,

Qui sait que demain la nouvelle voiture fera de lui un veuf inconsolable ? 

 

La mort ne respecte ni les feux rouges ni l’amour !

 

Je pars dans les rues de minuit,

Quel désir me met en marche ?

Pourquoi chercher à comprendre, à nommer ?

 

Une femme pleure sous un réverbère,

Le feu passe : rouge, orange, vert,

J’aimerais lui dire que la nouvelle voiture n’est pas pour elle,

Mais je ne peux pas lui dire ce que je ne sais pas.

 

Je ne peux pas lui dire ce que je sais,

Elle est trop loin, la tête enfoncée dans ses larmes,

Elle n’entend plus,

Je n’existe pas. 

 

Ce qu’elle veut c’est autre chose,

Pas mes mots, pas ma solitude d’errant nocturne,

Elle veut ce qu’elle a perdu,

Elle veut ce qu’elle n’a plus,

Elle veut ce qui n’existe plus !

 

Poubelles, ordures, rats, la ville dort d’un œil,

L’autre œil, il est aveugle,

S’il voyait, la ville pleurerait comme la femme sous le réverbère !

 

Lune gibbeuse, comment rentrer à la maison ?

Je connais l’adresse d’où je suis parti,

Je peux y aller, je peux ne plus y aller,

Choisir ce n’est pas être libre.

 

La femme sous le réverbère a-t-elle choisi le désarroi ?

Si elle avait eu le choix, serait-elle en pleurs dans cette nuit en ponctuations d’arcs électriques ?

 

M’apercevant, un passant solitaire change de trottoir,

Moi si je change de trottoir, je ne peux pas m’éviter.

 

Une ambulance de bruits et de lumières zèbre la nuit,

Elle n’est pas encore pour moi,

Ni pour la femme du veuf de demain.

 

Comment se souvenir du futur ?

 Mes pas sans but me ramènent vers la femme dérivant sur ses eaux profondes.

 

Elle parle seule,

Moi aussi, mais à voix basse, à mon ombre,

Son regard brouillé m’interroge,

Je change de trottoir,

On change tous de trottoir quand on dialogue avec le mutisme des ombres.

 

Elle sanglote : — monsieur, s’il vous plaît, est-ce que vous pouvez…

Je m’engouffre dans une ruelle, je ne veux pas savoir la suite,

Je dis toujours non à ceux qui tendent la main pour être sauvés.

 

Je me dis non,

Un non qui met les autres dehors,

Un non qui croit se protéger,

Un non qui fait de l’ombre,

Un non qui instaure un dialogue avec ce que je ne suis pas. 

 

J’habite un non qui a la nostalgie du oui,

Pourtant je sais que le oui n’a ni nom ni adresse.

 

Je ne veux plus écrire avec l’encre collective de la bonne conscience.

Je vois que les mots voilent ce qu’ils désignent,

Que l’oubli nous enferme dans son mouroir

Lorsque nous croyons nous reconnaître dans un miroir.

 

Je m’éloigne toujours de ceux que je pourrais aimer.

 Se souvenir c’est vouloir faire respirer ce qui n’est plus.

 Les trains passent, je fume.

L’aube, tapie dans les ténèbres, attend que la nuit s’épuise.

 

J’aurais pu être un autre,

Une aurore pour mes semblables,

Un devin qui préviendrait le futur veuf pour qu’il ne le devienne pas,

Un non fumeur,

Une main tendant un mouchoir à la femme en pleurs sous le réverbère…

 Je suis un poseur de mots à l’allumage incertain qui ne sait pas comment mettre un point final à ce texte.

 

La nostalgie du oui
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À propos

Jean-Pierre Brouillaud

Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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