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Le clochard de Macédoine

Le clochard de Macédoine

L’été 2012 en quittant mes délicieux amis Marie-France et Luggi qui habitent près de Venise en évoluant en voiture le long de la mer, je me revoyais 35 ans auparavant.

J’ouvre le carnet de la mémoire :

Journal de voyage de Jim et de Jean-Pierre...

 

Ada nous dépose sur la route de Yougoslavie, avant d'aller s'enfermer dans son bureau climatisé, par les vitres duquel elle peut observer sans être affectée la colère du fougueux Eole.

Epouvantable! Du bout de l'horizon des rafales de vent nous assaillent allant jusqu'à nous déséquilibrer.

" Vu d'ici, hurle contre le vent JC en contrebas, la mer a des allures de monstre préhistorique, avec son dos entièrement recouvert de grises écailles mobiles."

Finalement une skoda nous fait franchir la frontière avec une facilité déconcertante. Nos passeports sont visés, nous voici en pays Socialiste, à Capo d'Istrio, ancien territoire italien.

La tempête redouble. Un douanier nous apprend que le vent souffle à plus de cent vingt kilomètres heure; cependant nous luttons contre cet insaisissable ennemi jusqu'à ce qu'une deux chevaux kaki nous enfourne pour Postojna.

Au fur et à mesure que nous nous élevons dans les montagnes, une neige serrée se substitue à l'impertinence du vent.

A l'entrée de l'autoroute de Lubjena, nous courons jusqu'à une providentielle cabine de péage. Le froid mordant ne se soucie guère du piètre rempart qu'élèvent nos pull-overs synthétiques.

Des nuages noirs que Jim compare à de sombres oreillers éventrés ne cessent de perdre leurs plumes blanches et glaciales.

Dans nos sacs-à-dos n'excédant pas les cinq kilos, il n'y a pas de vêtements chauds pour affronter une météorologie aussi féroce.

Au demeurant, depuis notre départ d'Angers, l'hiver nous oppose de vaillants guerriers.

Un conducteur jovial nous délivre de notre igloo.

Transis jusqu'à la moelle, les cheveux blanchis de neige, à Lubjena nous achetons pain et chocolat, puis la bravade aux tripes, c'est plutôt sommairement que nous nous abritons pour casser la croûte sous une énorme boîte aux lettres fixée à un mur.

Hâtivement sustentés, nous reprenons notre lente progression pédestre. Une voiture nous dépose en pleine campagne. C'est le calvaire ! Un trident de glace charcute nos chairs affligées. En vu d'attirer l'attention nous exécutons une véritable danse de guignol pour apitoyer les conducteurs qui ne se soucient guère de laisser réfrigérer deux pitres effrontés affublés d'un dérisoire parapluie couleur citron-vert.

Nous nous faisons énergiquement expulser du bord de la grand-route par deux indigènes en uniforme. Nous nous retrouvons alors sur une bretelle d'autoroute qui semble n'aboutir nulle part, sinon au pays des fées qui peuplent les étendues de neige immaculée.

Nous patientons là une heure ou plus, sous ce ciel cotonneux, parcouru de couloirs de vent glacial

Le clochard de Macédoine

" Voila enfin une bagnole, s'égosille mon l.compagnon excédé, je te jure qu'elle va s'arrêter celle-là ! "

Sans hésiter, il se poste au beau milieu de la chaussée et gesticule comme un possédé.

Le camarade nous annonce que nous appareillons pour Zagreb.

Au gré des lacets menaçants de la route, à travers des montagnes saupoudrées de cocaïne stellaire, les véhicules slaloment dangereusement. Nous atteignons finalement une Zagreb uniformément moquettée de neige. En reprenant contact avec le froid, nous nous avouons momentanément hors jeu.

Aux renseignements de la gare, nous nous informons des prix et des horaires des trains en partance pour Skopje.

Là débutent de lassantes palabres, de guichets en bureaux, d'erreurs d'aiguillage en mauvaises volontés. Il nous faut plus d'une heure pour comprendre, et encore, car les tarifs sont fluctuants !

Nous vient en aide un étudiant en anglais. Pour un prix raisonnable il réussit à nous procurer les deux billets tant sollicités.

A zéro heure vingt cinq, nous déroulons nos sacs de couchage dans un couloir de train bondé, amusés à l'idée d'interpréter, comme souvent cela se déroule dans les transports en commun en Asie, l’humble rôle de paillasson de l'humanité.

Pour ma part, j’ai vingt ans, je prétends exécrer les voyages en train car tout y est organisé, sans dissonance, sourd aux sollicitations de l'aventure, pratique et confortable jusqu'à l'ennui.

Voilà ce que nous réservait, croyions-nous, ce Zagreb-Skopje, un voyage prisonnier de son passé répétitif. Mais penser ainsi, ô inexpiable erreur, c'était ne plus compter sur l'inattendu, celui qui érode le connu et peut, d'un direct au menton fouler au pied toutes les choses les plus planifiées.

Comment aurions-nous pu deviner que notre locomotive était, quelque part dans sa solitude d'engrenages et de pistons, une marginale, une frangine au-delà des apparences ! Elle refusa de poursuivre son voyage routinier, et fut, sans doute pour désobéissance, remisée dans un goulag ferroviaire.

Il doit être environ six heures, mes humeurs matutinales m'ont assis sur un banc dans ce glacial hall de gare, à Belgrad, où sur mes genoux j'ai déballé toute ma panoplie d'aveugle au grand complet: tablette braille, poinçon, feuilles cartonnées pour imprimer ces quelques phrases sur mon carnet de voyage.

Jim m'apprend que je suis très visité par le regard interrogatif des badauds et travailleurs matinaux.

Je regrette tout au plus de ne pas avoir une sébile, car je ferai de bonne grâce payer les voyeurs !

Un jeu d’esprit sans valeur me fait sourire. Les hipppies de notre sorte sont souvent comparés à Jésus, chevelus, dans l’imagination populaire ne travaillant pas et vivant d’amour et d’eau fraîche. Je me dis alors que quand Jésus crie, Louis braille !

L'estomac anonyme de l'Orient Express nous déglutit jusqu'à ce qu'un contrôleur vienne vérifier l'authenticité de nos titres de transport. Hargneux comme un chien de garde, il se met à aboyer, le postillon sur la défensive :

" Ticket no gut ! Express money."

Non de Zeus, nous sommes dans un train à supplément!

Ne possédant pas de manière fluide la réthorique serbo-croate, nous feignons l'ahurissement, mais rien ne semble pouvoir désarmer notre molosse qui, toutes dents dehors, le postillon abondant, vocifère des mots dissuadants tels que :

" Pazport, politz."

Nous capitulons à Zvepozarevo où nous nous enfournons dans un train sans appellation particulière qui nous mène jusqu'à Skopje.

Désormais nous ne sommes plus qu'à cent kilomètres de la Grèce.

Le printemps retrouvé a tôt fait de gommer notre fatigue.

Volatil, il nous saute au visage, nous vêt, dans cette nuit tiède, de ses bleus tempérés, tandis que nous cheminons, à l'affût, dans l'espoir de découvrir une litière à l'abri des curieux. Nous finissons par dénicher un fantôme de ruines tout envahi d'herbes folles; un toit de fortune recouvre ce gîte singulier ouvert à tous les vents. Un frère clochard haillonneux possédant un balai et un panier rempli de pommes nous accueille dans cette étrange demeure. Avec science et recueillement, il dépoussière un coin de terre battue et à l'aide d'un doigt posé sur sa bouche, il nous invite à la prudence.

Merci frère clochard .

Le clochard de Macédoine
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À propos

Jean-Pierre Brouillaud

Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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