11 Janvier 2010
«Je suis le tableau, Tu es le peintre, Allah!...
Je suis le corps, Tu es le souffle, Allah!.
O Dieu vivant et éternel !... »
Nusrat Fateh Ali Khan
Dans un voyage il y a, comme dans un paysage, des vallées, des grottes où l'on se replie, des pics, et des éruptions volcaniques , sans oublier les raz-de-marée.
Un soir à Amritapuri, en 2008, Leïla, 12 ans, nous dit qu'elle veut aller
méditer, donc s'asseoir dans le temple où Kâli, la mangeuse d'ego, l'impressionne et l'attire. Nous fendons la haie de dévots qui déborde largement en dehors des marches du grand temple, pendant que la femme en sari blanc console les plus désemparés, tendant un invisible miroir aux autres.
Trouver sa place en Inde revient à savoir la prendre, car ça se conquiert d'arrache-pied.
Oui, il faut savoir où l'on veut aller et se donner les moyens d'y arriver,
sans craindre de bousculer. Dans le Ici-Inde , les « excusez-moi, pardon, s'il vous plaît, merci >> ne sont pas ou si peu de mise et revêtent des consonances plutôt exotiques aux effets inopérants.
Au coeur du sanctuaire les chants dévotionnels se succèdent, les encens agacent mes yeux artificiels, puis un vieil homme vêtu d'une tenue Punjabi de couleur kaki, prend place au milieu des harmoniums portatifs et autres tablas.
Là où Marie voit un homme âgé, manifestement du nord de l'Inde, elle ne sait pas encore qu'il s'agit en fait d'un volcan, pour le moment au repos.
Il prend un mantra, Aum Namah Shivaya, le répète, et improvise dans le
style Dhrupad. Gourmand, il le salive, le mâche, le fait sien quoi. Et quand
il le donne, non, plutôt quand il le verse comme du feu sur l'assemblée,
celle-ci, jusque-là bavarde et inattentive, devient réceptivité silencieuse, comme si elle était brusquement statufiée par une déflagration.
Sa voix incandescente enfle comme une vague qui monte, et quand elle déferle sur nous, elle nous absorbe, mélangeant sa substance à la nôtre, nous faisant devenir embrasement.
Une pensée me traverse: Je suis venu en Inde uniquement pour ce rendez-vous
avec cet autre moi-même inconnu et chantant la pure joie d'être.
Quelque chose de l'ordre de la résistance se brise en moi, des larmes
coulent, coulent sur mon visage.
Mes fonctions cognitives sont immobilisées, mises en arrière-plan,
je m'élargis à l'espace qui nous accueille.
Une heure d'extase.
Le temple n'est plus dehors.
Je suis sûr que même les insectes se turent devant ce brasier vocal
tellement le mystère paraissait à la portée des coeurs de toutes les
créatures!
L'art ne devrait être que cela, une passerelle vers l'intemporel, que cela ,
car la tendance spontanée de l'âme à s'élargir devant la beauté, est le piège.
le plus évident, qu'utilise la Conscience pour ramener les égarés en son sein.
le soir même me virent ces mots,
tu m'as dit, sans me le dire :
Lorsque tu es musicien, tu ne dois jamais jouer pour les autres.
Les fruits du succès et de l'échec sont au bout du compte pareillement
amers.
Et si un jour tu joues devant un auditoire, ou même un proche,
ne pose pas ton regard sur lui sous peine de devenir mendiant.
Ne joue jamais pour toi, ni pour ceux qui t'écouteront,
mais joue, joue parce que tu ne peux pas faire autrement !
Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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