2 Mars 2015
Défila par la pensée la plage de Boracay, blonde et incurvée comme un coquillage, qui s'éloignait, s’éloignait, les cocotiers gardes-côte à la verte tignasse ébouriffée.
Là dans mon lit, une aprhéension, intacte et encore active, avec une salive ferreuse me ramena en 1985, aux Philippines, avec Marie.
Je me souvenais que la peur, cette déesse anthropophage, rôdait autour de moi, se rapprochant dangereusement, à mesure que nous dérivions. Je commençai à avoir peur que la mer de Chine ne se transforma en une tombe anonyme.
Marie m'apprit que nous ne distinguions plus vraiment les silhouettes des deux indigènes, qui s'affairaient là-bas, sur la plage incurvée, à leur astucieux modelage de bambous mouillés. Ces derniers étaient fichés dans le sable et ployaient sous le poids d'une pierre accrochée à leur extrêmité.
Les deux hommes à la peau de vieux bronze patinée devaient encore s'activer, le geste précis, le torse luisant de sueur, autour d'un petit feu dont les flammes détruisaient, tout en le séchant, la fléxibilité de ces roseaux géants, les figeants dans la position requise. Je me souvenais,tout en poussant la pirogue vers l'eau plus profonde, avoir questionné Marie sur cette artisanale activité.
J'entendais encore Titiana avec son accent Italien chantant constater que le poids des cinq corps conférait à notre embarcation à balancier une ligne de flottaison inquiétante. Je ne remarquai pas qu'il y avait quelque chose d'oppressant dans l'air, tout accaparé que j'étais par cette sortie en mer et la beauté de tous ces bleus mis en mots par mes compagnons fébriles. Nous allions plonger autour de l'île de Maniguin, à plus de deux heures de pirogue à voile.
Les Philippins stabilisent ces pirogues en fixant de part et d'autre une tige de bambou reliée à la coque principale par des bras. C'est une embarcation appelée "banca». La nôtre était frêle et n'était pas dirigé par un de ces pêcheur chevronné , mais par un Belge junky, qui cherchait à gagnait de menues monaies.
Quand nous ne fûmes plus protégés par l'île De Boracay, Jacques le Belge prétendit qu'il y avait des coraux et que nous pouvions plonger à cet endroit. Nous plongeâmes et lorsque nous fîmes surface, nous n'eûmes guère loisir de nous plaindre de toute absence de corail,
car nous découvrîmes que Jacques s'éloignait avec son embarcation. IL nous faisait de grands signes et hurlait. Nous comprîmes qu'il était malgré lui embarqué par un courant et que
nous devions le rejoindre à la nage. Marie et Jean-Paul y parvînrent assez rapidement. Titiana, fabuleuse nageuse, me remorqua en me tirant par la main. Oui, je suis un piètre nageur.
Nous découvrîmes alors que l'ancre de cette embarcation était une ancre d'opérette.
A bout de souffle nous finîmes par la rejoindre, mais une nouvelle surprise nous attendait.
A peine fûmes nous installés dans la pirogue qu'une vague rageuse nous submergea. Le corps de l'embarcation coula immédiatement,mais les deux balanciers le maintinrent à une profondeur qui fît que nous avions de l'eau jusqu'à la poitrine. Parfois de musculeuses vagues nous passaient au-dessus de la tête. Nous venions de naufrager. C'était manifeste que ça n'arrivait pas qu'aux autres!
Nous ne pouvions rallier la côte pour prévenir d'éventuels secours. Titiana, excellente nageuse, eût pu encore, avec les palmes, atteindre la plage d'où nous étions partis. Mais Jacques refusa sa téméraire proposition, mettant en avant les courants imprévisibles et les requins qui erraient dans ces parages.
Je commençai à envisager le pire, une forte vague disloquant les balanciers, mes quatre compagnons démembrés, mes hurlements ultimes bâillonnés par ma descente dans les abîmes sombres.
Nous vivions ce que j’interprêtai comme un drame où les vagues de plus en plus furieuses prenaient des airs de guillotines et nous de condamnés à mort.
Marie était impassible, Jean-Paul muet, Titiana frustrée de ne rien pouvoir entreprendre. Jacques jouait avec un poignard et grognait des invectives contre les requins et la tempête annoncée en fin de journée.
Selon mes compagnons, vers l'ouest, le ciel oppressant comme un cauchemar, avec ses jaunes sales qui bavaient sur des nuages noirs balayés par un vent hurlant crescendo, n'annonçait rien de bon.
Ce fut Marie, après environ deux heures de baignade forcée, qui aperçut, en premier, un bâteau qui filait droit sur nous.
Déjà au loin le rouge brasier du soleil couchant conférait des teintes surnaturelles à la mangrove. Les palétuviers se découpaient, noirs et torturés, en ombre chinoise. La terre était déjà loin.
Les marins Philippins nous repêchèrent et amarrèrent un solide filin pour tracter la pirogue à balancier. Ils se déroutèrent pour nous ramener à Boracay. Nous nous en tirâmes avec forces remerciements et quelques argents pour les dédommager du carburant.
Je me souviens de la phrase que j’entendis dans un anglais correct, alors qu’une puissante main m’aidait à me hisser à bord de leur bateau : L’an dernier, vingt personnes ont été dévorées dans ces courants par les requins.
Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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