26 Janvier 2025
Celle qui coule sous une arche forestière de bronze et de vieil or par un flamboyant automne canadien. Celle, en laves sombres et en taillis piquants qui s’essouffle autour d’un volcan assoupi d’un œil. Celle, érudite, qui mène quelque part, avec bornes, pancartes, lignes jaunes. Celle, candide, à l’humilité terreuse, qui mène nulle part, mal peignée avec des herbes insubordonnées, des framboises et de la menthe piquante, des flaques où boivent des insectes dans des lunes reflétées ou des insolences de soleil.
La Sibérienne, odyssée de toundra et de glace sous un ciel de plomb courant sur le pergélisol, mémoire de troïkas et de forçats en fuite.
La sauvage Arctique, virgulée de rustiques cabanes de trappeurs et de bûcherons, neiges et glaces foulées par Jack London qui porte ses livres à venir, où l’on entendra les gémissements immémoriaux de la vie même, avec ses effrois intemporels, ses enfantements et endormissements mortels.
Chemins muletiers d’Asie centrale, en vertiges minéraux dans le corridor de Wakhan, stupeur d’abîmes, un faux pas, le trépas assuré.
Route 66, USA, symbole de l’exode, retracée dans Les raisins de la colère de John Steinbeck et qui inspira une célèbre chanson reprise par les Rolling Stones : « Get your kicks on Route 66 » – prenez votre pied sur la Route 66.
Route parisienne du 21 mars 1841, où le poète Gérard de Nerval promène en laisse un étrange animal de compagnie, un homard bleu vivant.
Route de l’enfer. Le chanteur Chris Rea regarde la rivière, mais elle ne coule pas. Elle bout avec tous les poisons auxquels tu peux penser. Il prend sa guitare et il l’immortalise en glissés de notes bleues.
La Route nationale 7, de Charles Trenet : « Il faut la prendre qu'on aille à Rome, à Sète / Que l'on soit deux trois quatre cinq six ou sept. »
Route du rock, la Highway 61, chanson de Bob Dylan qui dit :
j'ai 40 lacets rouges, blancs et bleus
Et 1 000 téléphones qui ne sonnent pas
Tu sais où je pourrais me débarrasser de tous ces trucs ?
Et le Roi Louis dit : « Laisse-moi réfléchir mon garçon… »
Et il dit : « …Oui je crois que ça peut se faire facilement
T'as juste à tout ramener Route 61. »
Quand la route devient un personnage en soi avec ses marginaux avaleurs de miles, apparaît alors, en 1969, un nouveau genre cinématographique, le road-movie : Easy Rider et sa folle chevauchée en moto. « Born to be wild » hurlait le groupe Steppenwolf, né pour être déchaîné.
Et ça donna ce style de dialogue :
— Tu sais, ce pays est chouette. Je n’arrive pas à comprendre ce qui a mal tourné.
— Tout le monde a la trouille (…) Ils pensent qu’on va leur couper la gorge. Ils ont peur.
— Ils n’ont pas peur de toi, ils ont peur de ce que tu représentes.
— Tout ce qu’on représente pour eux, c’est des cheveux trop longs.
— Ce que tu représentes pour eux, c’est la liberté.
— La liberté, c’est ce qui compte.
— C’est vrai, il n’y a que ça qui compte. Mais, en parler et être libre, ce n’est pas la même chose. C’est d’être libre quand on est un produit acheté ou vendu sur le marché. Ne leur dis jamais qu’ils ne sont pas libres ; ils se mettraient à tuer, à massacrer pour prouver qu’ils le sont. Ils vont te parler tout le temps de liberté individuelle. Mais, s’ils voient un individu libre, ils prennent peur.
Route caravanière où l’homme médite au pas lent des chameaux de Bactriane en métissant des langages, colportant des philosophies, des religions, vendeur, acheteur, honnête ou filou, mais toujours, toujours en mouvement avec les tourbillonnements des vents qui lèvent la poussière grise des steppes en créant des mirages.
Route de la Soie, du règne byzantin à l’empire Mongol, tu fascines et façonnes l’homme qui commerce d’oasis en cités médiévales, véhiculant art, science et religions.
Premières routes maritimes à l’Antiquité, qui doivent leur expansion à la découverte d’outils comme l’astrolabe ou la boussole.
Routes aériennes, ouvertes par la compagnie Aéropostale, à retrouver dans le livre Terre des hommes, (1939), d’Antoine de Saint-Exupéry :
« Le véritable voyage, ce n'est pas de parcourir le désert ou de franchir de grandes distances sous-marines, écrira-t-il, c'est de parvenir en un point exceptionnel où la saveur de l'instant baigne tous les contours de la vie intérieure. »
Route du Rhum, un homme ou une femme, un voilier et l’océan.
Route métaphorique qui fera dire à Coluche : « La vie mettra des pierres sur ton chemin, à toi de décider d’en faire des murs ou des ponts. »
Routes, de Bangkok ou de Mexico, vous disparaissez sous un tohu-bohu, vacarmes de gaz et de métaux tremblants et surchauffés.
Sous le pavé, sous l’asphalte, sueur, sang et larmes, et l’ambition dévorante d’aller quelque part et de plus en plus rapidement.
Frissons bleus de bitume, sanguines pistes de latérite, dallages précolombiens, toutes les routes, pistes, s’égarent les unes dans les autres jusqu’à ne faire qu’une seule artère frémissante, celle qui véhicule l’économie, l’espérance d’ailleurs prometteurs.
Voici toutes les routes du monde, qui firent écrire à Pablo Neruda : « Il meurt lentement celui qui ne voyage pas, / Celui qui ne lit pas, / Celui qui n'écoute pas de musique. »
Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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