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Charme d'une nuit indienne

Charme d'une nuit indienne
Charme d'une nuit indienne
Charme d'une nuit indienne

 

Elle est accoudée au parapet d’une nuit indigo, mélange de santal, de javadhu et de curcuma.

Torsadé autour du torrent de ses cheveux, le jasmin odorant réveille en l’homme un souvenir enivrant. Son parfum de lotus bleu se mélange à l’air embaumé. Aux baisers capricieux du vent tiède frémit son corps flexible. Son regard évoque les trous noirs qui aspirent tout sur leur passage, même la lumière.

Dans l’obscurité les fils d’argent de son sari safrané jettent des éclats de rires criards. Est-ce le sari que Krishna tissa à l’infini pour sauver sa vertu quand la princesse Draupadî fut gagnée en duel par le clan adverse ?

Lui, il navigue en surhomme entre Mahâbhârata et Râmâyana. Tantôt il devient Arjuna gagnant la main de Draupadî qui devient l'épouse des cinq frères Pândava à l'issue d'un concours d'adresse au tir à l'arc. Ou encore, en mal d’héroïsme, il se glisse dans la peau d’Hanuman, le dévot de Râma, quand il arrache au démon la légendaire Sîtâ vêtue d’un sari jaune à semis rouge. Des rêves et des questions le hantent et l’exilent de l’instant.

Les singes ne se chamaillent plus dans le banian aux racines aériennes bercées par la brise de mer. Il n’ose pas allumer sa cigarette de crainte de chambouler l’ordonnance de cette soirée.

Chiens jaunes et chacals jappent au loin. Le cliquetis des métiers à tisser s’est éteint au soleil couchant – ô Kabîr, toi qui sais combien le visible et l’invisible sont les marchepieds vers l’amour ! Psalmodies védiques et clochettes agitées font tressaillir le silence. D’entêtants nuages d’encens et de marijuana s’échappent du petit temple dédié à Shiva : Sans doute, se dit-il, les trois Nâga babas aperçus l’après-midi, vêtus de cendres et de poussière.

L’eau saumâtre du fleuve boueux clapote en contrebas, elle charrie des images invisibles imprimées en amont dans les gorges inquiétantes de l’Himalaya. Ascètes nus, lavandières, passeurs, temples antiques reflétés, bûchers funéraires, mythes… Impression étrange d’avoir déjà vécu cet instant.

D’autant plus insondable qu’elle n’appartient pas au connu, à son connu. Alors d’où vient-t-elle ?

Il se pince pour vérifier s’il ne serait pas le jouet d’un songe, le rêve d’un de ces rusés dieux polymorphes, ou s’il ne serait pas sous l’influence du chanvre ou d’un de ces errants thaumaturges sans feu ni lieu.

Il pressent une naissance qui donnerait sens à l’insensé. Elle est comme l'étincelle dans la pierre de silex, se dit-il, ou l’huile dans le grain de sésame. Mais voilà, que faut-il faire ou pas pour que jaillissent huile et feu ?

 Il aimerait faire couler son bras autour des épaules cardamomes et pain d’épices de la dame en sari, embrasser cette bouche rubis où navigue un sourire mutin, oser abîmer ses yeux intimidés dans ce regard de nuit calme et de vifs éclairs. Il aimerait, mais… Mais à peine respire-t-il de crainte de rudoyer l’enchantement de cette ordonnance.

Il finit par oser extirper de sa poche une cigarette. Embarrassé, il s’aperçoit qu’il n’a pas d’allumettes. La femme au sari de safran et d’argent se retourne vers lui :

— Sais-tu que plus on s’approche du centre de la terre, moins il y a de gravité ?

En écho, il entend résonner les mots du sâdhu espiègle rencontré au printemps dernier sur une berge de la Narmada pendant une aarti mémorable :

« Étranger, rappelle-toi que lorsqu’on est trop sérieux, c’est signe que ce n’est pas sérieux du tout. Ris, ose t’exprimer, vis, fais tout ça et davantage et toujours plus joyeusement. »

Il répond alors à la dame du sari :

— Oui, il semblerait que plus nous nous débarrassons de nos masques, plus la magie pénètre dans nos vies.

Il allait dire l’humour, mais son censeur ne lui autorise pas autant de frivolité créatrice.

Pour corroborer la magie de cette nuit indienne, des mains délicates de la femme jaillit une flamme verte et rouge. Elle n’a ni briquet ni allumette, il n’est pas surpris.

Une phrase de Victor Hugo braque sa lumière d’évidence sur le charme de cette soirée orientale :

« Le rêve qu'on a en soi, on le retrouve hors de soi. »

La fumée de sa cigarette a un goût d’éternité. La femme accoudée au parapet l’observe en souriant. Il se demande s’il est en présence de Draupadî ou de Sita. Il vogue en pleine geste épique. Un peu narquoise, elle lui révèle :

— Mera nam Kalpana, mon prénom est Kalpana, tu peux le traduire par imagination ou fantaisie.

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Jean-Pierre Brouillaud

Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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