28 Février 2018
Avec Leïla, nous marchons dans le parc zoologique de Phnom Tamao, réserve animalière où les animaux blessés, accidentés, sont récupérés et soignés. Certains ont été confisqués, au passage de la douane, à des trafiquants animaliers. La mousson bourgeonne le ciel cambodgien.
« Ici, papa, c’est la cage aux singes. Il y a un gros mâle qui nous regarde. »
Quelques pas, et je viens m’appuyer contre les larges mailles du treillage. Histoire de plaisanter, je parodie je ne sais plus qui :
« On dit que l’homme est descendu de l’arbre, très bien, pourquoi pas. Mais l’important, ma fille, est de ne pas y remonter. »
Leïla sourit. Un sourire se perçoit avec l’ouïe. Dans la forêt ombreuse de la parole, un sourire c’est le surgissement contagieux d’une clairière remplie d’oiseaux et de papillons bariolés.
« Ne bouge pas, p’pa ! Il vient vers nous et il escalade le treillage. »
Elle me prend la main et me met en contact avec un des membres de mon frangin le grand singe qui dépasse du treillage. Je trouve la sienne de main et je la caresse un instant pour sentir ses réactions. Comme il ne se dérobe pas, je finis par la blottir au creux de la mienne. Je me dis que l’animal va s’éclipser d’un seul coup, d’un bond, comme cela est si familier à son espèce, mais rien ne se passe ainsi.
Je vis là, debout, au cœur de la mousson, peut-être pendant cinq longues minutes, un échange silencieux où l’animal et l’homme se reconnaissent comme pure expression de l’instant. Lui n’est pas dedans, pas plus que moi je suis dehors. Ce qui est en cage appartient au passé, aux conventions qui hiérarchisent et inventent un dominant et un dominé.
Quand nous reprenons le tuktuk vers la grande ville hurlante, nous échangeons autour des mentalités sédentaires et des comportements nomades. Me revient une citation tzigane : « Tuer le nomade, c’est tuer la part de rêve où toute la société va puiser son besoin de renouveau. » Et une pensée associative me traverse, sans doute inspirée par la sensation de la main du grand singe encore subtilement au creux de la mienne : et tuer un animal c’est définitivement le méconnaître et radicalement se placer en dehors et au-dessus de lui.
« Non, non, Leïla, je ne vais pas devenir végétarien ou Jaïn, mais une telle rencontre me jette sur des chemins de questionnements inconfortables, pour tout te dire. Allons, ce soir, on mangera quand même des araignées, des scorpions et des insectes – ça te va ? – à moins qu’une tarentule ne vienne me tendre une de ses pattes pour me faire changer d’avis ! »
Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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