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l'homme qui lit l'heure avec ses doigts

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l'homme qui lit l'heure avec ses doigts
l'homme qui lit l'heure avec ses doigts

Guatemala. Une piste serpente vers le pied du volcan actif de Pacaya, culminant à 2 552 mètres d’altitude. Nous sommes au cœur du département d’Estuintla.

Un flic sorti d’on ne sait où se dirige vers nous, du pas tranquille de ceux qui prétendent détenir un pouvoir. En tant qu’étranger, je me méfie tant soit peu des rencontres avec les autorités. Vous connaissez la sempiternelle rengaine, celle que psalmodient les haut-parleurs de la sacrosainte loi ?

« Vos papiers ! »

Comme si les passeports et ce qu’ils disent de nous avaient la capacité de nous définir ! Autocratique au début, le pandore fait semblant d’observer nos visas. Regarde-t-il le bon ? Les pages de nos passeports en sont couvertes. Il faut dire que depuis des mois, nous traversons en binôme, pouce levé, l’Amérique Latine.

Quand il finit par découvrir que je suis aveugle, le paternaliste remplace le despote. Il décide de faire de l’auto-stop à notre place. C’est efficace, les gens n’ont pas le choix, ils doivent s’arrêter, autrement ils encourent une amende au nom de je ne sais quoi. La première voiture qui se dirige vers le village de San Vicente pile devant nous.

« Prenez ce monsieur et sa femme, lui il est très intelligent – muy intelligente – il lit l’heure avec ses doigts. »

À cette époque, je porte encore au poignet une montre en braille ; le cow-boy du canton a dû me voir l’ouvrir et y promener mes doigts. Me voici en bord de piste, entre ciel et végétation exubérante, transformé en singe savant. Je dois prouver devant témoins que je lis bien l’heure avec mes doigts sous le couvercle ouvrable du cadran de ma montre dont les chiffres apparaissent en relief.

Manifestement, le conducteur n’en a rien à battre. Il nous désigne d’un geste résigné son pick-up où s’entassent parpaings, rouleaux de fils de fer, outillages divers… Et roule ma poule, pas cool du tout, sur nids de poules, avec tartinage de poussière, freins surchauffés, et dans les pentes abruptes moteur en surrégime au bord de l’asphyxie.

Merci la montre, on arrivera avant la nuit au village pour trouver un coin où dormir et pouvoir ascensionner tranquillement demain matin le volcan Pacaya, qui ces jours crache des fumerolles. Il se réveille parfois brutalement pour nous rappeler que la nature a toujours le dernier mot.

En arrivant au village, le conducteur nous offre un rafraîchissement chez lui. Nous apprenons qu’il est luthier. Il construit des xylophones ; ici, au Guatemala, on appelle marimbas ces instruments qui accompagnent les chansons populaires. Pour ce faire, il utilise le bois d’une espèce d’arbre endémique, le cedro del Pacaya.

C’est irrésistible, je pianote sur les lames d’un instrument que me tend mon hôte ; chacune est prolongée par un résonateur en forme de tube. Décidément l’Afrique, à travers ses esclaves, est passée par là ! Et cette pensée m’invite à bord d’une pirogue descendant un fleuve en pays Mandingue, où les balafons mélangent leurs notes vives au crissement des insectes de la forêt.

En m’endormant ce soir-là dans mon sac de couchage, il me vient une histoire. En des temps lointains, un homme qui savait encore qu’animaux, plantes et minéraux étaient autant que lui des êtres sociaux, voulut imiter le chant des insectes, peut-être même pour communiquer avec eux. Il imagina : alors le balafon prit forme sous ses doigts. Plus tard, l’instrument évoluera sous d’autres cieux, il sera reproduit avec d’autres matériaux (tel le métallophone en Europe), et portera d’autres noms… toujours pour faire danser d’autres populations !

Comme quoi une montre ne fait pas que donner l’heure !

 

 

 

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Jean-Pierre Brouillaud

Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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