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Afrique, entends-tu combien ils ont peur et faim tes enfants ?

sculptures Ousmane SOW
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Afrique des grands lacs, ton vent chaud et sec décoiffe,

Roule, coule, roucoule la vie sans se soucier d’étancher la soif,

Une barque blanche fend l’eau, un pêcheur fredonne,

Une hémorragie crépusculaire supplie la nuit qui pardonne.

 

Au bord du lac Tanganyika,

Un papillon éclabousse des poussières de paprika,

Les moustiques aiment ma peau, plantent leur stylet,

L’amour est un trapèze sans filet.

 

La femme me tend un verre de vin de palme et dit :

« Ceux qui sont morts, Wazungu, ne sont jamais partis,

Dans le vent, écoute le souffle des ancêtres,

À la saison des pluies, leurs larmes nous font renaître. »

 

Ses deux frères ont mis leurs pieds nus d’affamés dans les pas des enfants soldats

La voix de la colère les a sans doute aspirés vers l’Ouganda,

Abasourdi, nauséeux, je sors de sa hutte de terre et de paille,

Sur la terre nue, un pilon, trois poules picorent des papayes.

 

Je ne peux plus suivre les pensées susurrant que je suis d’ailleurs,

Ils avaient douze ans, la pauvreté avait fait d’eux des gueux querelleurs,

Désormais, je suis d’ici, je respire l’air funeste de ce drame

Et je me demande ce qui, moi, pourrait me pousser à prendre les armes ?

 

Sensation maléfique de traverser la terre aride de mon impuissance,

Je ne viens plus d’hier, du pays de la mémoire, du prospère et lointain pays de France,

Au loin une hyène ricane dans l’herbe jaunie de la savane,

Manioc, piment, bananes.

 

Grande sœur, tu sarcles, piles, gardes le foyer,

Et de toute la blancheur de tes dents tu continues à rire malgré cette misère déployée,

Tes petits frères ne voulaient pas être paysans, mendiants, tailleurs,

Ils ont mordu à la promesse des fusils-mitrailleurs et d’un possible ailleurs.

 

Quand on a faim, qu’est-ce que le Bien, qu’est-ce que le Mal ?

Je ne sais plus, je viens d’un pays riche où l’on s’enorgueillit de morale,

Je viens du pays des ventres pleins

Qui prêchent à ceux qui ont faim.

 

J’ai envie de défenestrer mes pénombres,

De jeter par-dessus bord tout ce qui m’encombre,

J’ai envie de ne plus me sentir, du destin, responsable,

De tout lâcher et de réaliser que pierres qui roulent finissent par devenir sable.

 

La mémoire est un chien infidèle,

Un croque-mort qui déterre avec sa pelle

Les cadavres ravagés,

À son maître elle ne rapporte que lambeaux de chair et os rongés.

 

Peut-être qu’un jour naîtra un enfant métis qui mangera de la terre pour tromper sa faim,

Tandis qu'au pays riche de mes ancêtres, je ferai de sa mère un souvenir de confins,

Peut-être que ce fils putatif deviendra à son tour enfant soldat

« Mon cher, vous reprendrez bien un whisky soda ? »

 

Avant de venir ici, philosophe repu, je disais : besoin de rien pour être heureux,

Besoin de quelque chose pour être malheureux,

Croire, penser que…, asséner des vérités,

Que de fatuités pour camoufler nos vanités !

 

Le lac éprouve-t-il la nostalgie de sa filiation avec les nuages ?

Entre les fleurs violettes du jacaranda, les ancêtres parlent en feuillage,

L’ombre du moustique a-t-elle le même poids que celle de l’éléphant ?

Afrique, entends-tu combien ils ont peur et faim tes enfants ?

 

 

 

 

Afrique, entends-tu combien ils ont peur et faim tes enfants ?
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À propos

Jean-Pierre Brouillaud

Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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