9 Juin 2016
La souffrance se loge souvent dans notre refus de la réalité.
Untel est mort: Oui. Se dire que c'est injuste parce qu'il était jeune, relève de notre attachement à des systèmes de valeurs et à des croyances qui ne sont pas enfantés directement par le ventre de la vie.
Ce sont tout au plus des sécrétions de notre imagination.
Elles sont orphelines.
Si on s'attache à elles, on devient soi-même orphelin et on pleure, pleure tellement que nos larmes nous empêchent de voir la Vie maintenant.
La peur nous maintient souffrant.
Quelle est la matrice de la peur?
Ce n'est rien de moins que notre incapacité à accepter la mort.
La pire des souffrances que nous endurons se localise entre la certitude que nous avons de devoir mourir et notre désir de vivre éternellement.
Et une grande partie du souffrir, de nos inconforts, sont également liés à la peur.
Ne rien avoir à faire de particulier terrorise beaucoup de gens aujourd'hui, aussi s'inventent-ils des programmes qui s'expriment dans l'affairisme forcené et dans la modification de soi en vue de s'améliorer et de se connaître.
Dans l'ennui il y a cette pensée obsédante qu'il devrait y avoir autre chose que ce qui est maintenant, et comme il n'y a rien d'autre, ce désir-pensée maintient une distance entre la réalité de l'instant et nous-même.
Cette distance a comme autres noms: souffrance, inconfort émotionnel léger ou aigu.
Mais réalisons que si nous souffrons de quelque manière c'est que notre norme inconsciente est le bonheur, autrement nous ne souffririons pas.
Plus on se remplit de projets extérieurs ou intérieurs et plus on va souffrir. Plus on cherche des circonstances favorables et plus l'insatisfaction grandit.
Plus on entretient une finalité à la quête de soi et plus on s'égare. Mais est-ce parce que je vais mal que j'invente un objectif, un futur propice, ou est-ce parce que je fabrique un but à atteindre que je vais mal ?
Pourquoi faisons-nous tant de projets pour fuir l'évidence de l'instant ?
Pour se faire croire que l'on maîtrise la vie et tout ce qui nous arrive.
Et parce que l'on se plaît à tort à imaginer que l'avenir pourrait être, grâce à nos efforts, meilleur que le présent.
Pourtant si l'on s'interroge vigoureusement, peut-on encore déclarer sans mentir que l'homme est meilleur aujourd'hui qu'hier ?
On va observer de près le soi-disant ennui, énergie fabuleuse utilisée par les publicistes et qui est à l'origine de bien des actes de consommation courante et leurs corollaires, les frustrations.
Que connaît-on de l'ennui ?
A première vue rien d'autre que notre désir compulsif de s'extraire coûte que coûte de cette lassitude mentale ou de cette platitude émotionnelle. Alors on accuse le désoeuvrement et on se fait croire que s'il y avait quelque chose de plus intéressant à faire, un objet nouveau à acheter, l'atonie ne nous engourdirait pas de la sorte.
On met l'accent sur l'inactivité ou la fadeur que représente une situation, au lieu de voir que l'ennui est notre seule création et que les circonstances extérieures n'y sont absolument pour rien.
Alors pour déjouer l'ennui on achète des montagnes d'objets, on change d'endroit, d'amis, de conjoint, de thérapie, de croyances, etc.
Mais au fond ce qui nous tourmente, nous ancre dans la torpeur, c'est la croyance ici et maintenant, quand nous prêtons le flanc à l'ennui, que nous pourrions être quelqu'un d'autre, que ce qui se déroule maintenant pourrait être autre.
C'est le désir d'arriver quelque part. C'est la pensée qu'il y a quelque chose de plus essentiel dans sa vie, qu'il doit ici et maintenant exister un ailleurs, des conditions plus favorables, ce sont ces tensions, souvent inconscientes, qui font naître l'impression floue de l'ennui.
Entre le bonheur et le malheur se trouve l'ennui. C'est un état dépressif de mort vivant où il n'y a plus l'excitation des préférences ou des aversions. C'est un point mort où il n'y a aucun saisissement, aucun transport.
Celui qui s'embête voit qu'il n'y a rien à faire, mais il est maladivement déterminé par la croyance qu'il devrait y avoir quand même quelque chose (de plus intéressant évidemment) à accomplir.
Et il est nerveux, malheureux, parce qu'il cherche toujours un ailleurs, autre chose, un autre lui-même.
L'état d'ennui perdure parce que l'on désire lui tordre le cou.
Mais en fait celui qui veut s'en débarrasser affermit sa déprime car comment peut-on détruire en s'y attaquant quelque chose qui ne prend son existence que dans notre imagination?
IL suffit de Voir que la chose créée n'a pas d'existence en soi, ainsi nous cessons de l'alimenter en luttant contre elle.
C'est précisément celui qui s'y oppose pour lui échapper qui renforce une double existence: celle de l'ennui lié à une situation, et celle de quelqu'un qui en serait le jouet.
On ne se bat pas contre un mensonge, on le voit et il est aussitôt dissout. Voir l'erreur l'anéantit. C'est comme si un matin nous avions oublié d'ouvrir les persiennes et que nous nous mettions à nous lamenter sur une nuit qui n'en finit pas. Et d'un seul coup, nous réalisons que nous avons omis de déployer les volets. Nous sautons alors du lit gaiement, poussons les contrevents et alors le jour fait irruption dans la chambre.
Celui qui se dresse contre l'ennui pour le neutraliser va s'ennuyer toute sa vie.
Voyons comme le sentiment d'insécurité naît de la recherche de la sécurité, le doute de celle de la certitude. Voyons de même comme la quête du bonheur occasionne une moisson inverse.
C'est la peur qui éclot de la volonté d'être courageux dans telle situation tragique et non pas le courage.
Quand on veut pacifier notre agitation, elle se renforce, etc.
Ce vécu volontaire n'est rien d'autre que la loi des effets contraires que synthétise cette parole lumineuse :
« Quiconque voudra sauver son âme, la perdra. »
Le sage Lao-Tseu, ce maître de la loi de l'effort inversé, affirmait que tous ceux qui se justifient ne convainquent pas, que pour connaître la vérité il faut se libérer du mensonge de la connaissance.
Il disait également: « Le sage se garde d'amasser; en se dévouant à autrui, il s'enrichit, et après avoir tout donné, il possède encore d'avantage. »
Que fait-on en judo ? On maîtrise une confrontation en s'y abandonnant totalement.
Essayer de se séparer de l'ennui le renforce avons-nous dit. Alors que faire? Se détendre, se vider de toute velléité, et comme le dit ce dicton étonnant : "n'avoir plus qu'un seul œil pour que tout ton corps s'illumine."
Là, un seul oeil se réfère à une conscience aiguë et non morcelée qui d'un seul coup révèle l'irréalité de l'ennui.
Vouloir éviter l'ennui c'est s'ennuyer à coup sûr.
De même que chercher à esquiver la souffrance et la souffrance elle-même sont un même processus.
L'homme de l’ennui fait tourner l'économie superflue parce qu'une grande partie de la consommation oiseuse fonctionne grâce au besoin compulsif d'échapper à l'ennui et à la peur. Si nous donnions moins d’emprise à l’abattement et à l’inquiétude, nous deviendrions plus inventifs, donc plus satisfaits. Se réveillerait en nous un esprit de partage où naufrageraient dominances et manipulations.
A l’heure actuelle, celle des étalonnages et classifications économiques qui donne à chaque homme un prix selon sa race, sa catégorie sociale, nous pourrions ainsi renouer avec l’ontologique valeur que nous sommes.
Ah l’an nuit !
Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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