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Confidence d'un voyageur aveugle.

   Guidé en Amazonie par ma fille Leïla à 9 ans

Guidé en Amazonie par ma fille Leïla à 9 ans

                           "Rien n'est jamais fermé sinon ses propres yeux"


… Et si la vie nous avait équipés d’un pouvoir de transformation pour éveiller en nous ce qui dort dans le limon de l’habitude ? …

Et si la cécité des yeux n’était pas une absence de vision ?

Comme il faut une naissance historique à ce qui ne commence jamais, je privilégierai un grand remerciement à ces étudiants qui me prirent à bord de leur voiture alors que j'auto-stoppais, un peu égaré, avec ma canne blanche dans la campagne. J'avais dix-sept ans, je me croyais très malheureux, je voulais partir en Inde, j'étais seul. Vous m'avez hébergé, nourri, redonné confiance.

Et sans la confiance, confiance ne reposant sur rien de tangible, aucun élan ne m'eût jeté sur les routes incertaines du vaste monde.

Merci à tous les amis et inconnus. Ce tour du monde sans vous n'aurait jamais pu se réaliser.

Un instant, en ski, en tandem, vous m'avez prêté votre regard et cela m'a permis d'aller de l'avant, d'éviter un obstacle, de voir dans vos yeux, en quelque sorte.

J'avais déjà vécu en Amazonie, parmi les chercheurs d'or (des hors-la-loi), voyagé en auto-stop à travers les cinq continents, parfois sans le sou, j'avais été agressé par des fous, dormi sur des toits de train au Soudan, souffert de la soif dans le désert, j'avais été naufragé en mer de Chine, m'étais égaré en hiver dans une ville suédoise sous la tempête de neige, seul avec ma fidèle canne blanche, j'avais perdu la raison à plus de 5 000 mètres d'altitude suite à un effort trop intense, mais je ne m'étais jamais encore retrouvé à poil devant l'évidence hurlante que tout ce que j'avais réalisé je l'avais fait grâce à votre solidarité bienveillante.

Afghanistan 1977

Afghanistan 1977

De même qu'il y a des gens qui sont morts à 25 ans, morts avant même de vivre, endossant et répétant l'existence des autres, il se trouve des oiseaux de mon espèce qui un temps se sont crus planant au-dessus de l'ordinaire. Un jour ils touchent enfin terre et réalisent que c'est l'humanité entière qui les a portés et pas uniquement leur volonté propre.

Ni le braquage à Amsterdam avec trois couteaux menaçants, braquage commandé par un junky en manque, très craint pour sa violence par ceux qui comme moi vivaient dans la rue, ni la méprise d'un truand ivre qui me tenait en joue en criant qu'il allait m'occire de la même manière que j'avais assassiné son compagnon, ne m'impressionnèrent autant que cette évidence : moi, sans toi, je ne fais rien, rien ou si peu.

J'ai eu beau escalader des volcans perdus dans les nuages, traverser des déserts, reste que lorsque je dois acheter un produit quelconque dans un libre-service, s'il n'y a personne pour me guider, cet ordinaire projet ne peut aboutir.

Syrie 1977

Syrie 1977

Mais les impossibles de l'un se transforment toujours en possibles grâce à une nouvelle rencontre. Aujourd'hui, il est temps pour moi de remercier et de célébrer l'évidence, qu'aveugle ou pas, pour faire, toi et moi sommes interdépendants.

Prendre sans donner, piller les ressources, s'enrichir au détriment des autres, agir comme si autour de nous ou après nous il n'y avait rien, se croire supérieur au voisin ou à une autre culture, race, religion. Juger, exclure, voilà une des manières de créer l'enfer.

Ce qui crée l'enfer, l'enfermement, c'est la croyance dans le plein pouvoir de ma seule volonté égotique. Comprenons que l'enfer n'est pas un lieu, mais la distance que nous maintenons entre nous et l'instant présent, nous et l'autre.

L'enfer, c'est une façon, parmi des millions, de ne pas nous aimer tel que nous sommes, tel que les autres sont, un refus de l'instant exprimé par un sentiment d'incomplétude. Sa signature est celle de la souffrance émotionnelle ou morale.

La voiture que tu conduis, la montre que tu consultes, tout est le fruit d'une collaboration entre les uns et les autres. L’oxygène que nous respirons, nous le devons aux arbres, tout comme à ceux qui les ont plantés.

J'étais aveugle, et pour transformer cette différence en handicap, on me disait de ne pas m'en faire, que mon existence était déjà toute tracée. Si j'écoutais les uns et des autres, le choix était restreint : rempailler des chaises, la kinésithérapie, enseigner la musique, accorder des pianos… Peu d'autres alternatives. Ces orientations professionnelles n’éveillaient en moi aucun enthousiasme. Je n'avais pas soif d'une vie moult fois vécue par d'autres, je me sentais l'âme d'un pionnier, créateur de son chemin de vie

Amazonie 1980

Amazonie 1980

Je ne réalisais pas encore que sans vous — Kensu cet enfant tibétain avec qui je courais à travers les rizières Népalaises, Dominique qui m'enseigna les rudiments de la planche à voile dans un lagon du Pacifique, Juana cette Indienne Quechua du haut plateau andin, tous ces villageois au centre de l'Afrique qui me guidèrent avec un naturel qui n'attend pas de paiement en retour, ce berger dans les montagnes afghanes qui me porta sur son dos dans une passe très accidentée, Jérôme qui me prêta sa main souple et directrice pour évoluer dans les oueds pierreux au Yémen, Marie et sa bienveillance quand nous auto-stoppions entre la Colombie et le Canada, ce camionneur qui me sauva la vie alors qu'avec Jean-Claude nous étions totalement déshydratés dans le désert du nord Soudan un 21 juin 1977, ce pilote de bateau qui nous secourus alors que nous étions naufragés en mer de Chine… et tant d’autres ! — sans vous, Madame, Monsieur qui m'aidez de-ci de-là ; sans vous tous, je n'aurais pas vécu cette Vie qui est incandescent désir d'elle-même.

Atlas marocain 2013

Atlas marocain 2013

À cette époque où la plainte est le masque presque bienséant à exhiber, j'élève ma gratitude pour toutes ces relations qui souvent passent inaperçues, ces mains anonymes qui remettent l'aveugle sur le trottoir, ce paysan de l'Afrique sud-sahélienne qui partage son assiette de mil avec l'étranger de passage, sans oublier le pickpocket de Manille qui en me délestant d'une poignée de dollars ne m'enleva rien d'essentiel.

Car je ne quitte jamais des yeux (ceux du dedans) que, si sans vous je ne peux pas faire grand-chose, avec ou sans argent, seul ou accompagné, dans l'opulence ou dans la galère, ça ne change rien à ce que je suis, n'ajoute ni ne retranche quoique ce soit.

Merci à vous tous.

Cambodge 2015

Cambodge 2015

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À propos

Jean-Pierre Brouillaud

Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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D
Vraiment MERCI A VOUS .. MONSIEUR. !!!!!!!!
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F
MERCI pour ce beau témoignage de VIE , quelle Force de Vie dans votre livre, si riche d'enseignements , quelque soit le handicap que nous avons à vivre !<br /> Gratitude
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F
Salut JP! Superbes ces remerciements! Très beau témoignage sur tes voyages, tes expériences... Tes compagnons de voyages, doivent avoir été bienheureux de partager un bout de vie en ta compagnie, c sur.. Ah ah ah! Je te souhaite une très bonne année 2018, riches en aventures, bonnes surprises et tout ce dont tu as envie :) !
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D
De même qu'une autre personne ici, je suis atteint d'un glaucome qui semble inguérissable.<br /> Pour en venir à vous Jean-Pierre, comme vous je suis un voyageur. Merci de votre témoignage.!
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M
Éblouissant votre article, j'étais clairement plongé dedans en le lisant. Merci pour ce très beau témoignage !
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J
Merci pour votre commentaire et si vous m'autorisez à faire un peu de pub... Il existe un livre "Aller voir ailleurs" chez points aventure.
H
Merci, merci, merci pour votre hymne au Voyage et à la Vie, à la rencontre de cet Autre que l'on voudrait nous forcer à voir en lui.. un ennemi.<br /> Si nos pédales croisent votre chemin, nous nous ferions un immense plaisir de faire un morceau de chemin..de Vie ensemble, mais aussi de vous ouvrir les portres de notre maison. <br /> Hubert et Sylvie<br /> "Cyclotandémistes Toulousains"
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F
il y a des gens singuliers sur cette terre.... vous y êtes en bonne position...<br /> traversant une période difficile de ma vie , vos récits me font tellement de bien.... merci.
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M
magnifique leçon de vie !
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C
Bonjour, Je suis cleide voulu transmettre mes félicitations pour cet article ... Ardisson spectacle. En dépit d'être une grand manifestation de la foi , la confiance et la simplicité est un instrument clé pour faire bien dans une action ou d'aventure, nous réalisons à tout moment de notre vie .<br /> merci de partager avec nous est EXPERIENCE ... merci
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N
Bonjour je vous ai écouté avec attention dans l'émission Ardisson. J'aurais aimé que ça dure plus longtemps ! Si votre tour du monde passe par Paris, je serai très contente de partager votre expérience autour d'un thé. J'ai un glaucome depuis 30 ans que l'on ne peut pas soigner. Je cherche à l'intérieur de moi les outils pour vivre avec cette épée de Damoclès
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J
Je me sens moins seule, hippie dans l'âme, voyageuse sans frontières, routarde des années 1970, mal de vivre, toujours et encore, merci de tes mots apaisants qui me réconcilient un peu avec la vie !
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S
Que dire d'autre sinon le dommage pour l'être humain de ne savoir ouvrir ses yeux.<br /> Merci Jean-Pierre.
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D
Magnifique témoignage qui nous rappelle les possibilités infinies de l'Être Humain ! Merci !
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J
Bonsoir ou Bonjour Jean-Pierre. Je n'étais pas venu sur ton blog depuis plusieurs centaines de jours, sans pour autant pouvoir oublier ce que j'en avais lu en le découvrant.<br /> Merci pour ce rappel (sourire), ainsi que ce magnifique morceau au piano qui accompagne en amplifiant ton témoignage sincère. A bientôt
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O
Votre article est une leçon de vie comme l'on n'en reçoit que très peu dans son existence. Il ne parle pas seulement de la cécité, mais dévoile une autre forme de vision, qui est en effet bien<br /> différente celle des yeux. Enfin, votre propos force à l'humilité.
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C
J'ai visité votre blog avec plaisir , que d'aventure et de courage .<br /> Je vous félicite , et vous apporte mon soutien .<br /> <br /> Amicalement christine
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P
Ici Pierrot, rêveur équitable du Québec<br /> <br /> Bravo pour cet extraordinaire hommage<br /> aux audaces des personnes aveugles:))))<br /> <br /> Dans le cadre de mon vagabondage poétique,<br /> blogues-musée pertinents mais aléatoires<br /> pour mon oeuvre pertinente mais aléatoire,<br /> <br /> permettez-moi de vous offrir<br /> une de mes chansons<br /> racontant la vraie histoire<br /> d’une semie-voyante de Natashquan<br /> à la personnalité remarquable<br /> <br /> PASCALE VERTIGO<br /> <br /> couplet 1<br /> <br /> Septembre à Sept-îles<br /> avec 10% de sa vue<br /> un ange traversera la rue<br /> comme un soleil la nuit<br /> au-dessus de la ville<br /> <br /> Septembre à Sept-îles<br /> ses 18 ans la guideront<br /> entre sa chambre et le cegep<br /> quatrre maisons la nuit<br /> un ange, c’est habile<br /> <br /> REFRAIN<br /> <br /> mon bon Sylvio<br /> ta fille a tout ce qu’il faut<br /> comme dans l’roman de Paul Auster<br /> elle vole déjà dans les airs<br /> <br /> mon bon Sylvio<br /> un jour elle sera<br /> pour tous ceux ou celles<br /> qui ne voient pas très clair<br /> Mademoiselle Pascale Vertigo<br /> <br /> couplet 2<br /> <br /> septembre à Natashquan<br /> toi qui travaille comme débardeur<br /> avec tes deux bras et ton coeur<br /> manquera de vie la nuit<br /> entre les murs de ta demeure<br /> <br /> Septembre à Natashquan<br /> assis à table vers 5 heures<br /> couché au plus tard vers 11 heures<br /> parlera d’elle la nuit<br /> dans l’oreille de Renée sa femme<br /> <br /> couplet 3<br /> <br /> Septembre à Sept-Iles<br /> avec 10% d’sa vue<br /> un ange traversera la rue<br /> comme un soleil la nuit<br /> au-dessus d’la ville<br /> <br /> Septembre à Sept-îles<br /> y aura ton inquiétude de père<br /> qui f’ra deux fois l’tour de la terre<br /> pour la rejoindre la nuit<br /> toi l’deuxième ange<br /> au-dessus de Sept-îles<br /> <br /> LA BELLE GRANDE FILLE<br /> DE MADAME RENÉE<br /> ET MONSIEUR SYLVIO<br /> <br /> Pierrot<br /> vagabond céleste<br /> <br /> http://www.enracontantpierrot.blogspot.com<br /> http://www.reveursequitables.com<br /> <br /> http://www.demers.qc.ca<br /> chansons de pierrot<br /> paroles et musique<br /> <br /> sur google,<br /> simon gauthier, conteur, video vagabond céleste<br /> <br /> merci<br /> Pierrot, rêveur équitable du Québec
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J
<br /> <br /> Bonsoir Pierrot le rêveur équitable et merci pour cette chanson qui fait voir les aveugles. Transmets toute ma bienveillance à la dame claire-voyante, dis-lui qu'en Ardèche il y a des collines où<br /> se perdre et des rivières où se retrouver même si l'on ne se prénomme pas Narcisse !<br /> <br /> <br /> <br />
G
Je vous lis et je me sens plus handicapée que vous qui êtes aveugle...Merci pour ce témoignage et cette leçon de vie!
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B
Quel témoignage poignant. Il me semble n'avoir jamais réalisé avant comme le fait d'être aveugle puisse être le raccourci le plus rapide pour vivre le Présent.<br /> <br /> Tout comme la surdité révèle le bruit du mental.<br /> <br /> Handicaps peut-être, cadeaux sûrement!<br /> <br /> Cordialement,<br /> <br /> Bernard
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C
à vous lire.<br /> Clélia<br /> <br /> http://ceciteclelia.unblog.fr/2012/11/21/cecite/
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