8 Novembre 2009
La force hypnotique du mensonge
Ou ne voir que ce qui nous arrange.
De sept ans à seize ans, j'ai poursuivi ma scolarisation dans une institution pour aveugles et amblyopes. Mon acuité visuelle allait en se dégradant. Comme je connaissais les gens, les lieux, et que j'écrivais déjà en Braille (pour ne pas trop solliciter le filet de vue restant), lorsque je devins définitivement aveugle, je ne pus me l'avouer tant mon déni était compact.
Pouvez-vous concevoir une telle allégation : j’étais aveugle et je n’étais pas au courant ?
Essayez de ressentir la puissance de ce mensonge qui découle de la peur de regarder la vérité toute nue !
Cela signifie entre autre que ce sont les autres en premier qui découvrirent que j’étais désormais aveugle.
Ca en dit long sur la force hypnotique du mensonge, non ?
Ne voyant plus, et ne le sachant pas encore, je continuais à identifier, mais avec l'ouïe désormais, les camarades et les professeurs. Et je me déplaçais dans les cours, les classes et les dortoirs, mu par la seule faculté de la mémoire et les premiers balbutiements de l’écholocation. Ainsi je pouvais encore me faire croire que je voyais parce que la capacité mémorielle associée au décodage de la répercussion de mes propres «bruits» sur l’environnement physique suppléait aux yeux manquants.
Nous sommes dotés d’une fabuleuse capacité d’adaptation, ainsi même mes inclinaisons ludiques se modifièrent.
Les jeux auxquels je ne pouvais plus participer, par manque de vue, tel que le football, je décrétais qu'ils ne m'intéressaient plus, la pop-music et les copines requérant toute mon attention dès lors.
Cela ne se fit pas, bien sûr, sans quelques plaies et vexations, et autres malentendus. Mais l'oubli est le grand collaborateur du mensonge, tant et si bien qu'il fallut que la Vie engendrât une situation incontournable pour que l'évidence de ma cécité me soit enfin signifiée.
Et encore aujourd’hui il m’est impossible de dire, à presqu’un an prêt, à quelle date la vision m’a-t-elle quittée définitivement.
C’est tout bonnement stupéfiant !
Je fus, en 1972, prié de quitter l'école située à Angers, donc le connu. Et, à la prochaine rentrée, je fus admis dans une institution spécialisée, à Paris, où, écorché vif et plus rebelle que jamais, je me retrouvai lâché dans l'inconnu, seul face à la vie. Je ne pouvais plus tricher en marchant dans le souvenir de l’endroit tout simplement parce que je ne le connaissais pas.
Et là ce fut l'insoutenable désillusion, sous la forme d'une confrontation d'un faux moi-même avec un moi-même plus actualisé.
N’ayant plus la mémoire comme alliée, je me perdais, me heurtant à tous les murs et dans tous les meubles. Et alors, au paroxysme de l'humiliation, je dus, (et cela pour la première fois de ma vie), et surtout au vu et au su de tous, tendre les mains devant moi pour tenter de repérer mon chemin.
Ce fut une terrible blessure narcissique.
L'évidence, en maître intraitable, me hurlait ce que je ne voulais pas voir alors.
J'étais aveugle, que cela me plaise ou non, peut-être même depuis un an ou deux, et je l'apprenais là, avec ce garçon affable que je frappai sauvagement lorsqu'il s'offrit de m'aider dans un déplacement.
Etre aveugle et ne pas le savoir, puis un jour le découvrir, en dit long sur notre capacité à nous aveugler nous-mêmes !
Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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