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La nuit n'est même pas noire pour les aveugles

(La) boule à neige...

(La) boule à neige...

Un soir d’hiver, je suis invité chez une voisine qui habite de l’autre côté du village de Laboule. Il fait sec et froid quand je me rends chez elle. Je connais les lieux, la canne blanche ne sert pas à me guider mais plutôt à détecter un inhabituel obstacle qui surgirait sur mon chemin, comme par enchantement. Le village, avec sa géographie sinueuse, est cartographié dans ma mémoire. Il se met à neiger tandis que nous partageons une grosse soupe et que le bois crépite dans l’âtre. À la fin de la soirée, l’amie s’offre de me raccompagner chez moi.

« Il neige abondamment », me dit-elle. Je la rassure avec une phrase qui se veut sans doute facétieuse :

« Neige ou pas neige, la nuit n’est même pas noire pour les aveugles ! » Et je sors gaillardement, l’escalier est enneigé, et alors ! Persistent des repères évidents, la rampe d’un côté et la présence ressentie du mur de pierre de la maison de l’autre. Je fais mes premiers pas sur la place. Quel silence impressionnant !

 

Jean-Pierre à Laboule

Je dois traverser en diagonale l’espace qui s’ouvre devant moi, j’y vais, mes pieds s’enfoncent avec un crissement dans la poudreuse. Je ne réalise pas encore que la neige au sol et celle qui floconne serrée brouillent la réceptivité de mes antennes. Je suis tout à la joie de l’instant, ces plumes froides et virevoltantes, ce silence ouaté comme un écho renvoyant au silence premier de l’origine, c’est-à-dire maintenant, avant même de le conceptualiser.

Et d’un seul coup je m’aperçois que l’aveugle est perdu, qu’il ne trouve plus ses repères sur lesquels s’amoncelle la neige. Un demi sourire se dessine sur son visage, entre la moquerie et le défi nouveau à relever. Je suis peut-être à cent cinquante mètres de ma maison, je suis connu pour avoir voyagé du Rwanda au Belize en passant par l’archipel des Tuamotu, et j’erre dans mon village, sans savoir où je me trouve exactement, la canne blanche inefficace sur ce relief qui dissimule le chemin.

Au début je me moque un peu de ce vaisseau perdu, et j’élabore des stratégies de repli vers la maison de mon hôte. Mais ça ne se fait pas, je ne retrouve pas les marques. La neige efface le passé et me met au diapason avec l’instant.

Je me revois égaré une nuit dans les rues hivernales de Tours. Il n’y avait absolument personne. Ne sachant plus que faire, je rentrai dans un immeuble et je sonnai à une porte en plein milieu de la nuit. Vous imaginez quelqu’un qui frappe chez vous à deux heures du matin ? Vous ouvrez, tout ensommeillé, et vous découvrez un aveugle hilare qui vous demande son chemin.

Se superposent d’autres événements similaires, perdu une nuit parmi une végétation extravagante à Bali à la recherche de la salle de bain précaire, le coup de l’emprisonnement dans les toilettes au bord du lac Atitlan, au Guatemala. Mais laissons la mémoire agir sans y prêter plus d’attention, ici c’est le petit village de Laboule, sud Ardèche, il neige, et d’un seul coup un fou rire me soulève. Ah oui je suis perdu parce que je ne vois plus ma canne blanche sur la neige blanche !

Je finis par repérer, en claquant légèrement des doigts, le porche de l’église. Le son qui m’est renvoyé semble provenir d’une grotte, l’écho est plus ample, sans doute une fraction de seconde s’enroule-t-il sous la voûte, me revenant porteur d’informations précieuses. Ayant enfin pris connaissance de ce détail dans la fresque totale, je peux aisément regagner ma maison. Du moins la maison du dehors.

L’espace d’un instant, il dut neiger des pensées dans la tête de notre bonhomme ce soir-là. Des pensées qui saupoudrèrent sa vision du dedans d’un voile de crainte. Il eut alors la tentation de se prendre pour le petit poucet cherchant à retrouver son chemin en suivant ses pensées comparatives, mais elles l’éloignèrent de lui, le fourvoyant dans des impasses où des fantômes lui racontaient des histoires. L’un lui affirmait :

« Tu es perdu. »

Un autre :

« Tu devrais t’inquiéter. »

Mais il se ressaisit, glissa dans sa propre pré-histoire, où palpite ce qui est avant le livre d’images, moi et le reste, espace où les pensées séductrices n’ont plus d’influence, là où on ne peut plus être perdu. Les fantômes se turent immédiatement. Les fantômes restent muets quand on a ni perdu ni trouvé son chemin. Les fantômes disparaissent quand on est soi-même le chemin.

Le défi étant de ne pas être aveuglé par la cécité.

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Jean-Pierre Brouillaud

Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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G
Cher Jean-Pierre, ton expérience résonne très fort en moi, il neige souvent dans ma tête et je rencontre les mêmes fantômes. ''Les fantômes disparaissent quand on est soi-même le chemin.''. Merci d'avoir si bien su dire ces mots-guides, des mots qui se détachent bien sur la neige. Biz An
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H
Ne pas se lasser du chemin, même avec beaucoup de lacets dans la cité....
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M
Merci Jean-pierre, j'ai goûter cette nuit et cette neige avec toi , moi qui n'aime pas la neige !<br /> Jean-Claude
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G
Sommes-nous faits du même bois? Moi qui ai des yeux qui voient, je m'affolle dès que je m'égare et vous, en pleine nuit, sous la neige, cela vous fait presque rire....J'admire !
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