11 Septembre 2015
« Etre aveugle est une manière philosophique d’être au monde » nous dit Jacques Lusseyran qui poursuit:
"Les voyants doivent comprendre que leur manière de connaître l’univers n’est pas la seule."
« Né en 1924, aveugle à huit ans, résistant à dix-sept, membre du mouvement défense de la France, Jacques Lusseyran est arrêté en 1943 par la gestapo, incarcéré à Fresne, puis déporté à Buchenwald. Libéré après un an et demi de captivité, il écrit "et la lumière fut" et part enseigner la littérature aux Etats Unis. Il meurt en 1971 dans un accident de voiture,il avait 47 ans. »
Voilà ce que l’on peut lire sur la quatrième de couverture du très beau livre de Jérôme Garcin, Le Voyant, qui ressuscite cet homme hors norme, aveugle-voyant et visionnaire.
Pour remercier ce journaliste écrivain, je lui ai écrit, parlé de mon vécu du dedans qui par bien des aspects correspond à celui de Mr Lusseyran. Nous avons eu un bel échange par mail.
Jacques Lusseyran affirme qu’il ne commença à ne voir clair que quand il devînt aveugle. Un autre prétendit cela, et sans complexe: Œdipe.
Je recopie Jérôme Garcin qui nous présente cet homme étonnant : « Une paix avec soi-même, une harmonie avec le monde, une équanimité souterraine, un optimisme ravageur, une vaillance hors norme, une foi d’airain et même une manière de gratitude pour le destin qui, en le privant de ses yeux, en lui ayant refusé le spectacle de la beauté à l’âge des premiers émerveillements, développa chez lui ce qu’il nommait le regard intérieur. »
« J’avais perdu mes deux yeux, je ne voyais plus la lumière du monde et la lumière était toujours là. »
Sa conviction profonde était que la vue est un sens tyranique et superficiel condamné à glisser sur la peau des êtres et à la surface des choses, à évaluer les seules apparences.
On pourrait croire qu’André Gide s’adresse à lui quand il écrit dans les Nourritures Terrestres: « Que l’important soit dans ton regard, non dans la chose regardée. »
" La cécité a changé mon regard, elle ne l’a pas éteint, de s’y accrocher par l’intérieur, d’en jouir à chaque instant, d’en éprouver jusque dans la chair l’invisible beauté et de ne l’en lasser jamais. "
Inutile de préciser que cet homme incarne à la perfection le concept de résilience.
Et puis quand je lis cela, je ne peux que célébrer le retour médiatisé de cet homme, moi homme pour qui la Femme a été et demeure si essentielle à ma vie:
« Tout à coup l’homme est dans la femme. Il ne la voit plus, il la vit ».
Car faire l’amour, cette confluence "êtrique" entre deux êtres, a et reste mon chemin de réconciliation avec moi-même, donc avec l’autre.
« Ce ne sont pas les lieux, c’est le cœur qu’on habite » écrivait l’immense poète Anglais qui devînt aveugle à 40 ans, John Milton.
Cette phrase eût pu être signé par ce grand frère, écrivain voyageur aveugle, qui, jeu d’étonnantes synchronicités, passa une partie de son enfance dans le Maine et Loire où je vécu entre 7et 16 ans et où il mourut après une vie de voyage entre la Grèce, les Usa et autres régions…
Jhon Milton au dix-septième siècles parla de chaînes au sujet de sa cécité, Jacques Lusseyran de retrouvailles avec la lumières. Moi je parle de choix, les deux vécus sont possibles, mais lequel choisissons-nous?
Ni la cécité ni la vue nous obligent à la lumière ou aux chaînes. Aveugles ou pas, tout dépend de notre capacité à transformer la fatalité qui n’existe pas.
Je recommande hautement la lecture du Voyant de Jérôme Garcin, paru chez Gallimard parce que ce livre est un miroir qui nous renvoie à nous-même : parole d’un aveugle!
“La joie ne vient pas du dehors. Elle est en nous quoiqu’il arrive. La lumière ne vient pas du dehors. Elle est en nous, même sans les yeux.”
“ je regardais trop loin, et je regardais trop à l’extérieur. Je me suis mis à regarder de plus près. Non pas plus près des choses mais plus près de moi. A regarder de l’intérieur, vers l’intérieur au lieu de m’obstiner à suivre le mouvement de la vue physique vers le dehors. Tout était là, venu de je ne savais d’où. On ne m’avait rien dit de ce rendez-vous de l’univers chez moi ! "
“ Il fallait laisser les arbres venir jusqu’à moi. Il en fallait pas placer entre eux et moi la plus petite intention d’aller vers eux, le plus petit désir de les connaître. Il ne fallait pas être curieux, ni impatient, ni surtout fier de sa prouesse. Si je me faisais très attentif, je n’opposais plus aux paysage ma poussée personnelle, alors les arbres ou les rochers venaient se oser sur moi et y imprimer leur forme comme les doigts impriment leur forme dans la cire. ”
“ Dans la perception d'un homme attentif, la réalité se livre : des pans entiers se détachent sous la seule pression de la main, sous un seul regard. Mais la main n’est alors, et le regard n’est lui-même qu’un instrument. C’est toujours au-dedans de nous que la connaissance a lieu, c’est-à-dire dans cet endroit où nous sommes reliés à toutes choses créées. La paix intérieure, c’est cela, et c’est cela l’attention : c’est un état de communication universelle, un état de réunion.”
Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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