26 Juin 2019
Tant qu’il y aura de l’altérité, il y aura du dialogue possible... Voilà ce qui me met en route à travers ce monde de plus en plus normatif.
Cette fois-ci, direction la Colombie.
Les Amérindiens Kogis sont une communauté d’environ 15000 personnes, les derniers héritiers de la grande civilisation précolombienne Tayronas.
Pas évident du tout de les rencontrer. Ils affichent une méfiance bien compréhensible à l’égard de notre civilisation. Faut dire que les faits parlent, depuis 1526, année où Rodrigo de Bastida fonde la ville de Santa Marta. Tour à tour, les colons espagnols, les moines Capucins, les narcotrafiquants, les guérillas et autres pilleurs de tombe, puis plus tard de ressources naturelles, leurs volèrent vies et biens. Ils leurs confisquèrent leurs terres en leur assénant au nom de la sacro-sainte modernité des croyances et valeurs leur étant tout à fait étrangères.
Je sais peu de chose, si peu, mais j’éprouve un désir constant de les rencontrer depuis un projet télévisuel qui n’a pas pu aboutir. Je sais qu’ils nous désignent sous le vocable « les petits frères», se nommant eux-mêmes comme « hermanos mayores » - frères aînés.
Ce qui m’attire chez eux ? Hélas un terme ici tombé en désuétude, leur manière de vivre en solidarité avec tous les règnes. J’en vois certains sourire en me lisant: Hein ? le mythe du bon sauvage...
Vous, si vous savez pourquoi vous faites ceci ou cela, parfait, moi si peu, et je n’envie pas ce qui prétendent savoir. Je confie mes pieds aux alizés des enthousiasmes qui me visitent.
Mais où vivent ces gens ? Au nord de la Colombie, dans la Sierra Nevada de Santa Marta.
Cette montagne, dont el Pico Cristobal Colon culmine à 5775 mètres, plonge en quelques dizaines de kilomètres dans les eaux turquoise des Caraïbes, après avoir décliné sur ses pentes une incroyable variété d’écosystèmes : neiges éternelles, pâturages d’altitude, arbustes et grandes herbes typiques des hautes Andes, forêts de brouillard, puis tropicales humides, et enfin déserts côtiers et ventés, hérissés de cactus.
En 1855, le géographe français Elisée Reclus décidera de s’installer au pied de la"montagne de Sainte Marthe". Il sera fasciné par cette pyramide montagneuse qui à ses yeux représentera : "Un abrégé de toutes les merveilles du monde où l’on rencontre tous les aspects possibles de notre terre, depuis la forêt équatoriale, jusqu’aux neiges éternelles".
Pour ses habitants, plus qu’une simple montagne, la Sierra Nevada est le cœur du monde, la Terre mère qui leur a transmis le code moral et spirituel régissant le quotidien de leur communauté. Ce territoire est un véritable livre ouvert qui les relie au monde et à leur histoire collective.
Sur ces pentes escarpées les indiens entretiennent et pérennisent leurs traditions depuis plusieurs millénaires.
Leur religion ? Protéger et remercier la Terre-Mère. Ici on est dans l’oralité, pas dans le livre.
Avant notre envol pour l’Amérique Latine, l’ami anthropologue me répète : "C’est la montagne, la Sierra Nevada, qui t’ouvre ses portes, pas les indiens Kogis." Je suis perplexe devant une telle allégation. Mais sur place les mots apparemment obscurs d’Antonio s’éclairent : Je découvre qu’il existe chez les Kogis une Consultation spirituelle, une divination, la «Yatukua». Les Mamas, - hommes éclairés, à la fois prêtres, guérisseurs et juges, à la nuit venue se concentrent avant de laisser choir une petite pierre cylindrique percée dans une calebasse remplit d’eau. Il répéteront plusieurs fois l’opération qui devra obligatoirement fournir cinq fois la même réponse pour qu’une décision soit prise. C’est l’observation de la façon dont les bulles remontent à la surface de l’eau qui sera lue et interprétée.
Notre question ? "Pouvons-nous être invités dans un de vos villages, échanger avec vous, parfois sous l’œil de la caméra ? –Pourquoi la caméra ? –Nous aimerions beaucoup montrer en France l’organisation de votre société, et diffuser à notre monde malade votre message, votre regard si différent du notre : "Soyons Un." En d’autres termes : "voyons en l’autre un frère et la nature comme notre mère".
Privilégiant avant tout l’être à l’avoir, les Kogis initient très tôt – je devrais peut-être écrire initiaient, car tout change - certains de leurs enfants aux mystères de perceptions subtiles, à travers une ascèse rigoureuse menée dans des grottes d’altitude, jusqu’à ce qu’à leur tour ils deviennent des Mamas. C’est à cette stricte condition qu’ils pourront alors veiller au bien-être de leur communauté et à l’équilibre des forces du vivant.
La formation pour devenir Mama pouvait durer dix-huit ans et se déroulait entièrement dans l'obscurité : pratique pour apprendre à quitter les apparences trompeuses de la lumière. Étant moi-même aveugle, ça m’interpelle grave comme on dit aujourd’hui.
Nous sommes un groupe de cinq personnes autour du réalisateur Lilian Vezin, cinq personnes conscientes que notre civilisation si irrespectueuse de la nature «va droit dans le mur» comme le martèlent nombre de scientifiques, penseurs systémiques, en haussant la voix et en invitant les gouvernements à intervenir dans l’urgence écologique. Les populations de la Sierra Nevada – ils sont quatre groupes : les Kogis, les Aruakos, les Wiwuas, les Kankuamus- nous disent depuis vingt ans et plus, notamment à travers Eric Julien et sa formidable association « Chandukua », que nous avons mis notre civilisation en péril en ne respectant pas «noestra madre,» la mère terre.
Notre équipe ?
De Bretagne, Lilian Vézin, réalisateur avec qui j’ai co-écrit le doc deux hommes un regard, en 2016, lui aussi convaincu que ces Indiens que l'on a longtemps méprisés représentent pour nous le paradigme d'une société respectueuse du vivant.
De Barcelone, Ilona Schneider, cantatrice polyglotte, notre traductrice.
De Marseille, Ciccio, rencontré à la buena muerte – la bonne mort, un restaurant de fruits de mer, à Lima, 37 ans auparavant, grand randonneur devant l’éternel. Son véritable prénom ? Comme moi, Jean-Pierre; alors pour nous éviter toutes confusions possibles, il s’est rebaptisé Ciccio, prononcer Tchitchio s'il vous plaît. Ciccio, dans le film « Parfum de femme », réalisé par Dino Risi, avec Vittorio Gassman, est le guide de Fausto, aveugle cynique et inaccessible à toute pitié qui repère les femmes à leurs parfums charnels.
D’Ardèche, un peu étudiante, bourlingueuse et nomade, Leïla Brouillaud, dite cheveux bleus, est une jeune femme de 23 ans, dont je suis le père, et sans l’aide de qui je n’aurai jamais pu parcourir la grande forêt du parc Tayrona avec les pièges racinaires et ses longues dalles glissantes.
– De Bretagne aussi, - la compagne de Lilian, Camille Barraud, aux prises de sons et de bons conseils en ce qui concerne l’esthétisme.
– D'Avignon, votre serviteur, fil rouge de notre film, guidé par Leïla, parfois par l’ami Ciccio.
Arrivés sur place, nous louons un carbet, maison de planches et de bambous ouverts au vent des Caraïbes et aux milles et un chants de coq déréglés qui s’égosillent nuit et jour. Nous avons l’honneur de recevoir la visite de 3 indiens Kogis et de leur Mama. Ciccio leur prépare en hâte un repas, - ils arrivent de loin et n’ont pas mangés depuis la veille. Apprenons d’eux le mot « zigoneshi « qui donnera le titre à notre doc : «Nous les Kogis, habitants de la Sierra Nevada colombienne, nous avons une parole, un mot important chez nous « Zigoneshi ». Ce mot signifie plein de choses.
Je t’aide et tu m’aides, ou bien, je te donne et tu me donnes, il parle d’échange et d’entraides.
Vous nous aidez et nous vous aidons. Ensemble, nous devons réapprendre à nourrir un seul chemin, une seule pensée, pour un avenir commun».
Nous faisons alors " Zigoneshi " : nous rentrons dans l’échange. Le Mama ne parle que Kogi, les jeunes un peu Espagnol , –Ilona traduit habilement, elle tente de ne pas dénaturer leurs propos.
«Qu’est-ce que tu veux ? » me demandent-t-ils en toute simplicité ? Et qu’est-ce que tu nous apporteras en échange ?» Ça y est la possibilité de partager un chemin commun s’ouvre, ce qui ne veut surtout pas dire que la Sierra va nous dire oui.
« Nous souhaitons passer quelques temps dans une de vos communautés et réaliser un film documentaire.»
La cécité me paraît être un passeport et une passerelle possible vers cette civilisation de l’être qui développe une autre attitude envers la vie. C’est un feeling que je ressens en arrière-plan, une confiance, mais ne vendons pas la peau de l’ours avant de l’avoir capturé !
En romantique de l’aventure j’aimerais aller sur leur territoire avec les pieds en vent, un cœur d’enfant et une écoute plus large que celle des oreilles de chair. Je ne veux pas débarquer chez ces frères aînés avec des griffes à la place des mains pour m’approprier leur message et le dénaturer.
Nous souhaitons être invités dans leur communauté à la seule condition qu’ils nous jugent dignes de témoigner du regard qu’ils portent sur le monde. Nous ne voulons pas être uniquement vu comme une charge ou des touristes en mal d’exotisme, mais comme des hommes en quête du lien qui unit tous les règnes.
Lilian et Camille leur offrent des coquillages qu’ils ont ramassés sur la côte bretonne. Un précieux cadeau pour des mâcheurs de feuilles de coca, une fois réduite en poudre la chaux mélangée à la salive avec les feuilles de coca libère l’alcaloïde absorbé par les muqueuses.
Aujourd’hui, où de plus en plus de gens réalisent enfin que la dégradation environnementale est en majeure partie d’origine anthropique, et sans doute plus que jamais, nous avons beaucoup à apprendre de ces peuples premiers dans leurs manières d’être au monde. N’avons-nous pas un peu trop considéré la Nature comme si ses ressources étaient inépuisables – et comme si nous pouvions dépendre d’autre chose que de son seul bien-être?
Pour reprendre le propos de Marco Lambertini, directeur du WWF : «Il ne peut y avoir de futur sain et prospère pour les hommes sur une planète au climat déstabilisé, aux océans épuisés, au sol dégradé et aux forêts vidées, une planète dépouillée de sa biodiversité.» Ce que les Indiens Kogis savent depuis toujours de manière intuitive.
Œuvrant en ce sens, ils sont pour nous un modèle. Ils ont, pour prendre des exemples parlants, mis l’accent sur l’entraide et non pas sur la compétition, sur le bien-être du collectif plutôt que sur l’aspect prépondérant de l’individualisme forcené.
Ils vivent encore, du moins en altitude, près du littoral c’est moins évident, en totale autarcie économique et intellectuelle. Il n’y a pas de hiérarchie, les décisions se prennent collectivement.
Inévitablement, il y a des ratés, -j’ai approché ce genre de naufrage identitaire en Australie avec certains aborigènes, Pygmées en Afrique centrale ou indiens aux Usa, souvent des jeunes qui ont cédé à la tentation de notre monde clinquant et hyper-connecté. Dans un bus nous rencontrons trois jeunes Kogis ivres qui ne comprennent pas ce qu’ils font là.
Cette insoutenable scéne de vie de clochardisation nous fait mal tandis qu’hurle dans les hauts-parleurs du bus brinquebalant une musique de vallenato mille et une fois entendue. Le Vallenato, musique où l’accordéon a une grande place, a été déclarée patrimoine culturel immatériel de l’Unesco en 2015. Mais que faire et que dire si ce n’est que tenter de cohabiter avec notre impuissance devant cet insoutenable miroir sous la forme de ces trois jeunes Kogis égarés?
Quelques jours plus tard nous apprenons avec une vive émotion que la Sierra nous dit oui à travers le rituel de la « Yatukua » et nous accueille dans un de ces villages au-dessus de Malmor. Miguel et ses deux frères nous proposent alors de leur monter du poisson et de la toile blanche. Cette demande de poisson nous arrachera quelques éclats de rire. Nous nous imaginons cheminant à travers jungle et rochers avec un chargement peu discret olfactivement sous le farouche soleil des tropiques.
–Notre équipe fonctionne bien, l’humour et le rire sont de mise en toutes situations. Par chance, nous sommes en lien avec une association franco-colombienne, la « Semilla », qui nous explique que, ouf ! nous devons acheter au marché de Santa Marta du poisson séché. Ça sera bien moins épique pour le transport!
En arrivant dans leur minuscule village, le Mamu Sale nous accueille avec un petit rituel de conscientisation et de nettoyage: «Ressentez d’où vous venez, quelles sont vos intentions, qu’est-ce que vous nous apportez et qu’est-ce que vous attendez de nous ?»
Zigoneshi, le futur titre de notre film semble s’imposer à ce moment-là. Après un silence réparateur, - les enfants nous observent de loin, le Mamu nous demande après cet espace partagé de méditation de lui remettre toutes nos pensées.
Pour cette population qui vit en harmonie avec la nature, la vie est une quête constante d’équilibre qui se concrétise à travers une méditation ayant comme support le « Poporo » pour les hommes et le tissage pour les femmes, ainsi que des rituels de nettoyages physiques, psychiques et spirituels.
N’oublions pas que les Kogis se considèrent comme les gardiens de l'équilibre du monde.
C’est qui, c’est quoi le « Poporo »?
Le «Poporo» représente la carte d’identité de chaque homme. Il est composé de 2 accessoires : une sorte de calebasse évidée qui contient des coquillages écrasés, et représente la féminité. Le deuxième accessoire est une tige de bois, qui représente la masculinité. Elle sert à porter la poudre de coquillages jusqu'à la bouche, tandis qu’ils mâchent la feuille de coca. La forte alcalinité des coquilles réagit au contact de la coca et libère ses principes actifs. Avec le temps, l’orifice du « Poporo » se couvre d’une fine couche de calcium durcie par le frottement répété du bâtonnet.
On voit souvent les hommes frotter leur bâton sur le Poporo, de manière machinale, bien que le bâtonnet soit déjà sec. Il s’agit en réalité d’un geste hautement symbolique : ils consignent ou «écrivent» leurs pensées sur leur Poporo.
Au village, une petite maison de bois, bambous et fibres végétales, - pas de clous, pas de vis, nous est désignée pour poser nos corps et nos sacs. Nous y suspendons nos hamacs. En leur remettant nos cadeaux, nous comprenons que les 30 mètres de toiles blanches sont destinés à la confection de leurs vêtements. Les femmes tissent des « mochilas », leurs indispensables sacs. Et nous déduisons que vu qu’ils ont perdus beaucoup de terres de basse altitude, ils n’ont plus suffisamment d’espace pour faire croître le précieux coton avec lequel ils confectionnent depuis plusieurs millénaires leurs habits blancs.
Nous est suggéré de ne pas trop nous éloigner du village, les para-militaires rôdent dans la région. -Lilian Vézin, le réalisateur, a du matériel, une caméra, un drone, un ordinateur, etc… de quoi attiser la cupidité de ces mercenaires à la solde de privés qui tuent et terrorisent les pacifiques populations pour extraire du charbon, planter des bananes arrosées de glyphosate pour le désherbages, et de la coca pour le juteux trafic de cocaïne, évidemment. Une nuit un coup de feu nous réveille, nous ne faisons aucun commentaire, mais du fond de nos hamacs je suis certain que nous dormons toutes et tous avec un œil ou une oreille en veille.
La Sierra Nevada est entourée par la "Linea Negra ", une ligne noire d’énergie invisible reliant les sites sacrés qu’il est interdit de franchir sans l’autorisation des Mamas. Notre activité au sein du "pueblito" consiste à parler, échanger, filmer. Quand nous posons certaines questions, la réponse nous vaut des heures et des heures d’attente ; Les Kogis se réunissent alors nocturnement dans la "Nuhé", la maison sacrée où ils prennent des décisions en s’interrogeant collectivement et où ils accomplissent des rituels qui donnent la parole à la "Tierra Madre". Heureusement Leïla a eu la bonne idée d’apporter un jeu de carte inscrit en écriture braille, ainsi je peux jouer avec les amis en attendant les réponses des villageois.
Au fil des rencontres nous découvrons que les Kogis n’ont pas un esprit de propriété très développé. En fait ils marchent la montagne au gré des saisons et des travaux à accomplir collectivement. Les maisons appartiennent à la communauté et sont investies aux périodes de plantations, de récoltes et autres actions pour le bien collectif.
Aux heures des repas on nous apporte de l’agua de panella (boisson à base de panella sucre brut tiré de la canne) et une soupe avec une racine locale de malanga, en Kogi " mungi ".
Quand ils apprennent que je suis écrivain, ils me disent qu’ils ont perdu leur écriture et qu’ils ont besoin de quelqu’un qui compilerait leur savoir, leur généalogie. Nous découvrons combien précieuse pour eux est la mémoire et l’importance de la transmettre. Là nous pressentons qu’ils redoutent la perte et l’appauvrissement de leurs traditions ancestrales.
Je ne me visualise pas vivre ici tout seul, - il n’y a absolument aucun confort ni repère et de toute façon comme il n’y a pas d’électricité je ne peux pas prendre des notes et encore moins construire un livre, -j’ai impérativement besoin d’un ordinateur doté d’une synthèse vocale pour écrire.
Les deux frères de Miguel suivent des études en ville, pas pour devenir des hommes modernes, mais bien pour revenir honorer la Sierra et avoir un bout de savoir des petits frères pour pouvoir protéger juridiquement leur communauté.
«Tant que nous danserons, chanterons, ferons de la musique, me dit Mauricio, les prénoms espagnols ne sont pas leurs véritables noms, nous préserverons l’équilibre du monde. Nous devons remercier noestra madre.» Intervient ici une notion indissociable de leur culture, une notion que nous, les petits frères, avons bien oubliée avec notre appétit de tout nous accaparer. C’est la notion de " pagamento ", une dette naturelle qui participe à l’échange, à la fluidité d’un prendre-donner libre entre l’homme et la nature.
«Si on coupe un arbre pour fabriquer un pont, un toit, un enclos, on en plante un autre immédiatement. S’il pleut, nous ne devons jamais oublier de remercier par des rituels « Noestra Madre ». Ne pas remercier c’est s’attirer la colère de la nature. La mère terre ne fait pas que donner, nous devons comprendre cela, elle réclame des soins , sinon elle se fâche, inondations, volcans en fureur, sécheresses, tremblements de terre.» Un autre soir où les mouches mordeuses nous dévorent, - à force de nous gratter, nos visages, nos mains sont sanguinolents, Miguel dit : « Si tu ne fais que prendre les cadeaux de la mère terre sans contre-partie son sein va devenir aride et ses enfants, les plantes, les animaux, les hommes, vont tous mourir.»
Nous découvrons leur méthode de jardin, proche de la permaculture, association de plantes qui se protègent mutuellement de certains insectes et des ardeurs du soleil des tropiques.
Leïla qui a suivit des études aux lycée agricole à Aubenas et qui est passionnée par tout ce qui croît dans la nature, arbres, légumes, fruits, me fait découvrir la moindre écorce, termitière, sous l’œil de la caméra de Lilian.
Ce village est loin d’être un village éloigné comme il en existent en plus haute altitude, autour il y a des fincas de cafés sans doute gérées par des Colombiens.
En repartant nous savons ce qu’ils attendent de nous, des moyens pour ouvrir un espace de dialogue avec la modernité dans la vallée, à Valmor. Nous espérons recueillir des fonds en projetant notre film et en faisant des conférences pour soutenir « los hermanos mayores », nos amis de cette fascinante Sierra Nevada qui ont un tout autre regard sur le monde.
Je ne voyage plus avec des écrits en braille mais avec un lecteur audio, une carte SD sur laquelle j’enregistre tout ce que je veux, et cette nuit-là, seul sous les étoiles du vaste ciel Amérindien, tandis que les Kogis jouent du tambours et de la flûte, je relis la lettre de l’archéologue et écrivain Fred Vargas :
« Il est plus que temps que les choses changent. Oui il est vraiment plus que temps !
Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les hauts-fourneaux de l'incurie de l'humanité, nous y sommes. Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l'homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu'elle lui fait mal.
Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté nos pesticides à l'eau, nos fumées dans l'air, nous avons conduit trois voitures, nous avons vidé les mines, nous avons mangé des fraises du bout du monde, nous avons voyagé en tous sens, nous avons éclairé les nuits, nous avons chaussé des tennis qui clignotent quand on marche,nous avons grossi, nous avons mouillé le désert, acidifié la pluie, créé des clones, franchement on peut dire qu'on s'est bien amusé. On a réussi des trucs carrément épatants, très difficiles : faire fondre la banquise, glisser des bestioles génétiquement modifiées sous la terre, déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire péter l'atome, enfoncer des déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni connu.
Franchement, on s'est marré. Franchement on a bien profité. Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu'il est plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des pommes de terre. Certes. Mais nous y sommes. A la Troisième Révolution. Qui a ceci de très différent des deux premières (la Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu'on ne l'a pas choisie.
« On est obligé de la faire, la Troisième Révolution ? » demanderont quelques esprits réticents et chagrins. Oui. On n'a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé notre avis. C'est la mère Nature qui l'a décidé, après nous avoir aimablement laissé jouer avec elle depuis des décennies. La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets. De pétrole, de gaz, d'uranium, d'air, d'eau. Son ultimatum est clair et sans pitié : Sauvez-moi, ou crevez avec moi. »
Un mot Kogi: « Zigoneshi », bientôt un documentaire.
Actuellement Lilian Vézin est en plein montage. La première est prévue pour novembre en Bretagne nous comptons sur vous !
P-S.
Un postscriptum indispensable pour remercier ces amis,es, et ma fille qui par leur bienveillance m’ont permis de réaliser ce voyage vers l’altérité.
Je revois Ciccio posant ses mots souvent poétiques sur un paysage montagneux cher à son cœur ou encore m’expliquant un lieu pour que je puisse m’y déplacer de manière fluide. Ciccio me guidant à la voix dans une épouvantable et ombreuse ravine de boue. Le très fameux « Camino fangoso » (le chemin fangeux). C'est ainsi que nous l'avons appelé car ça a été une galère dans un chemin étroit très pentu, plein d'ornières et de boue. Son vrai nom est "el Camino National" mais nous n'avons croisé personne à part un caballero qui le remontait sur son cheval les pieds bien au sec dans ses bottes de cowboy. Nous avons maudit le responsable de la « maison d'information » de Salento qui nous avait dit que le chemin était très facile. On a bien rigolé quand même... Ce fut très ludique ... Après une bonne heure trente de galère, nous avons ensuite cheminé sur un sentier sans embûche qui nous a permis de profiter d'un paysage vallonné et verdoyant égayé de cours d'eau. Sentier qui nous a conduit à la cascade Santa Rita.
Leïla avec une incroyable patience m’aidant à franchir pieds secs d’innombrables gués rencontrés : ton pied droit légèrement en avant, à 15h une pierre plate… Une infime pression de la main ou un mouvement de hanche me fournissant l’information nécessaire pour éviter de glisser dans le ruisseau ou de trébucher sur une racine…
Ilona, notre tisseuse de lien qui a su si bien traduire et nourrir des relations avec des associations, autant en direct qu’à travers de nombreux appels téléphoniques et par tous ces gestes, en modestie et en réel engagement.
Lilian, complicités acquises au fil des conférences et voyages, Maroc, Ethiopie, Colombie, avec une mention toute particulière parce qu’une fois de plus tu m’as fais confiance et tu t’es investi gracieusement dans cette expé et ce second doc en commun.
Camille, -qui est repartie avant notre rencontre avec les Kogis, -son employeur ne la paie pas pour se balader des mois sous les tropiques, même avec des prétextes valables-, pour les échanges divers et éclats de rires.
Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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