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Route et esprit Rock / 1

Route et esprit Rock / 1
Route et esprit Rock / 1

Avoir l’esprit Rock, c’est bouffer la pomme, le serpent, faire l’amour avec Ève et devenir pote avec Adam, peut-être même faire du calva avec le fruit défendu et rouler des joints avec les feuilles de la Bible.

C’est choisir le seul parti qui en vaut la peine, celui d’en rire en tout temps, en tout lieu, même devant l’inéluctable.

Avoir l’esprit Rock, c’est pleurer des rivières en nostalgie d’océan, aimer la vie sans chercher à savoir le pourquoi, et saturer, saturer tous les potentiomètres émotionnels jusqu’à les rendre inaudibles.

C’est inclure Mozart le lumineux, inclure Johnny Cash et son empathie pour les pauvres et les détenus, inclure les paroles claires-obscures de Leonard Cohen et les envolées dramatiques du grand Jacques Brel.

L’esprit Rock, c’est de bon cœur distribuer des coups de pied aux cultes et également savoir se donner un formidable coup de pied au cul, quand le désir s’est fait la malle, pour aller renifler les phéromones de la peur.

Testostérone en crue, appelé par tout ce qui est transgressif, déviant, à treize ans je suis mûr à point pour me reconnaître dans l’esprit rock et ses icônes. Je me looke très summer of love, cheveux longs, foulard indien, colliers, bagues, tunique, jean.

La lecture de Flash ou le Grand Voyage, récit d’un junkie français, Charles Duchaussois, sur la route des Indes, truffé d’histoires toutes plus sordides et malsaines les unes les autres, a sur moi une influence inquiétante, équivoque. Je suis fasciné, pour ne pas dire attiré, par l’image du toxico romantique qui va se finir dans l’Himalaya avec une overdose devant les splendeurs d’un soleil couchant sur les pics enneigés.

Pour pourfendre mes boucs émissaires, mon impossibilité d’accueillir la cécité et ses effets secondaires délétères, nuit et jour sur la platine tourne du rock dur, la voix sépulcrale de Ozzy Osbourne, les cris déchirants de Robert Plant, les hurlements d’Iggy Pop, les saturations guitaristiques de Jimi Hendrix, la voix magnétique de Jim Morrison et les solos puissants de Ritchie Blackmore.

Je me dis, un demi siècle plus tard, que le Rock et ce qui gravitait autour de ce phénomène culturel m’a peut-être sauvé de mes tendances suicidaires déguisées.

Avoir l’esprit Rock ce n’est pas forcément s’opposer à tout mais marcher à côté des routes mille fois empruntées, prendre les chemins de traverse, les escaliers mécaniques à l’envers, préférer les fenêtres aux portes, plus poète que conformiste.

C’est avoir en hiver envie de recoller les feuilles aux arbres, de neige en été, s’asseoir dans un jet pour aller savourer une herbe colombienne ou une glace aux antipodes. C’est savoir que les barreaux du pénitencier ne confisquent pas la liberté pour celui qui l’a trouvée dans son cœur.

Quant à Dieu, pourquoi pas… mais qu’il donne des preuves par l’absence du Diable chez les hommes !

Être Rock c’est rester en mouvement et probablement être un peu looser, mais un looser magnifique qui sait qu’il n’y a en fait rien à perdre.

C’est avant tout respirer à son propre rythme.

Autrement dit, ce n’est pas une attitude mais une exaltation, une intensité de vie.

C’est souvent se trouver là où personne, ni nous-mêmes, ne nous attendait, et rester un éternel adolescent ne voulant jamais migrer vers l’âge prétendu adulte.

Et c’est par-dessus tout une défiance absolue du pouvoir.

Avec la culture Rock, il y a la musique, mais aussi le boucan médiatique de ceux qui la créent. La réputation sulfureuse de Led Zeppelin est due à de nombreux écarts : chambres d'hôtel dévastées, groupies et abus de drogues, entre autres… Tous ces actes irrévérencieux, ces coups de butoir dans la fourmilière endormie des moralités en cours excitent mon admiration, mon envie de devenir original, une graine d’épicurien orgiaque.

Keith Moon, le génial batteur des Who aux rythmiques épileptiques, sans doute le musicien le plus déjanté du grand rock’n’roll circus des années 60-70, défraie les chroniques. Il me fascine par ses frasques qui vont de tout détruire dans les chambres d’hôtels pendant les tournées à remplir une baignoire de ketchup en laissant dépasser les deux jambes écartées d’une poupée pour impressionner un pote qui vient le visiter.

Et il y a aussi la grâce des petites phrases que l’on se prend en pleine sensibilité :

« La vie c'est ce qui arrive pendant que vous prévoyez autre chose », dixit John Lennon.

Ou encore des paroles assassines de chansons qui font furieusement écho avec mes comportements ordaliques d’adolescent :

« J’espère mourir avant d’être vieux », que l’on entend dans My Generation des Who.

Quand j’écoute à la radio, ou échappé d’un juke-box, Jumping Jack Flash des Rolling Stones, je m’identifie aussitôt à « Jack Bondissant Tel L'éclair ». Mon sang se transforme en champagne cocaïné. Je suis survolté :

I was born in a crossfire hurricane

Je suis né dans le feu croisé d'un ouragan

And I howled at my ma in the driving rain

Et je hurlais à ma maman sous la pluie battante

But its alright now, as a matter a fact its a gas

Mais tout va bien maintenant, en fait c'est le pied.

​​​​​​En découvrant à seize ans School’s Out de l’excentrique Alice Cooper, là encore je me reconnais. Je ne veux plus aller en classe, la vie n’est pas à apprendre, les profs sont des donneurs de leçons, le passé, l’histoire donc, je m’en contrefous, autant que de l’avenir, c’est peu dire !

Non je ne veux pas m’orienter vers quoi que ce soit, je veux crier, et je crie :

School’s out forever

L'école est fermée pour toujours

School's been blown to pieces

L'école a été réduite en ruines

No more pencils

Plus de crayons

No more books

Plus de livres

No more teacher's dirty looks

Plus de regards noirs du professeur

Well we got no class

Donc on n'a pas de classe

And we got no principles

Et on n'a pas de principes.

 

À quinze ans à peine, quand éclosent dans ma tête des envies de fugues pour rejoindre les hippies sur les routes – je ne sais exactement où, à Londres, Amsterdam, à San Francisco ou Katmandou –, au dortoir, en me lavant les dents, en tentant de justifier une énième punition auprès de mes parents, je ne cesse de fredonner cette obsédante chanson des turbulents Who :

I'm free – I'm free,

Je suis libre – Je suis libre,

And freedom tastes of reality !

Et la liberté a un goût de réalité,

I'm free – I'm free,

Je suis libre – Je suis libre,

And I'm waiting for you to follow me.

Et j'attends que tu me suives

Puis advient la rencontre tant attendue avec une cigarette aromatisée Moyen-Orient qui embarque ma tête dans des contrées inconnues, me procurant des sensations absolument nouvelles, le joint de marijuana, le joint qui réunit ceux qui sont appelés par la route, les fameux chemins de Katmandou, chemins qui font couler paroles et encres dans les médias de l’époque. En ces temps héroïco-comiques on ne fume pas en solo, on fait tourner joint, shilom ou pipe à eau en écoutant Pink Floyd, Santana, Jefferson Airplane, Crosby Stills Nash and Young. On fait tourner et on parle, ou plutôt on rêve. On affirme l’hyper réalité des rêves. On arrête de séparer réel et imaginaire.

Fuck les frontières et les limites !

Au cours de ces soirées en brouillard de haschich et de musiques faites d’espace et de distorsions, je trouve totalement ma place, celle d’un griot sans baobab, d’un conteur tissant des tapis magiques en files de mots sur lesquels nous volons, volons au-dessus des soucis de bourgeois.

Sont-ce toutes ces chansons tellement écoutées qui m’ont jeté sur les routes du monde ouvertes à toutes les aventures ?

Je ne sais pas grand-chose de la matrice de nos choix de vie, mais je peux dire que ces chansons m’ont accompagné de partout, accompagné et souvent inspiré, et fait rêver à en crever tous les oreillers et exploser tous les carcans du réel.

 Scott Mckenzie chante :

San Francisco (be Sure To Wear Some Flowers In Your Hair)

San Francisco (Sois Certain d'avoir Quelques Fleurs Dans Tes Cheveux)

You're gonna meet some gentle people there

Tu y rencontreras des gens gentils

For those who come to San Francisco

Pour ceux qui viennent à San Francisco

Summertime will be a love-in there

L'été y sera une saison d’amour.

Et moi je crève d’être aimé, aimé par ceux et celles qui me ressemblent, du moins dans mon imaginaire romantique, alors aller à San Francisco pour une saison d’amour avec des gens gentils ! Je peux faire n’importe quoi, n’importe quoi, et je l’ai fait ce grand n’importe quoi… fait… et il m’a fait à son tour… et nous avons fait ensemble le tour, le tour du n’importe quoi monde qui au bout du compte nous a semblé si petit qu’il a fallu encore aller plus loin, encore plus haut, avec Bob Dylan qui nasillait Everybody Must Get Stoned – tout le monde doit être défoncé.

Et combien de fois m’a appelé le ciel bleu de Sweet Home Alabama des sudistes Lynyrd Skynyrd, joué en soirée par des guitaristes voyageurs autour de feux de bois rougissant les corps qui se prennent et se déprennent ?

Combien de fois, assis sur un banc, avec un quignon de pain et un bout de fromage souvent volé, traversant une banlieue laide pour récupérer un spot de stop, ai-je fredonné les paroles en feuilles d’automne toutes californiennes des Mamas and the Papas ?

On such a winter's day

All the leaves are brown and the sky is gray

I've been for a walk on a winter's day.

Tandis que le rêve chanté de la Californie me réchauffe comme il peut, bien qu’il me semble loin, très loin de la neige yougoslave qui s’abat sur nous, dans les flocons virevoltants j’entends Cat Stevens et son Katmandu :

Katmandu I'll soon be seeing you

Katmandou je te verrai bientôt

And your strange bewildering time

Et ton étrange, déroutant temps

Will keep me home

Me maintiendra…

J’ai un hiver bulgare, turc, perse, afghan à traverser coûte que coûte, pour rejoindre une autre fumée de rêve qui m’attend là-bas avec ses temples, ses singes chapardeurs, et sans aucun doute d’autres mélodies inspirantes à découvrir !

Le soir, sous mon oreiller, surgit des ondes courtes des radios pirates Here Comes The Sun des Beatles qui réveille de l’espoir au creux des nuits du mal de vivre, quand j’ai dans le ventre des nœuds de vipères qui me menacent de l’obligation de devenir un adulte :

Here Comes The Sun

Voici Le Soleil

Here comes the sun, here comes the sun

Voici le soleil, voici le soleil

And I say it's all right

Et je dis que tout est bien

Little darling, it's been a long cold lonely winter

Petite chérie, nous avons eu un long et froid hiver solitaire

Little darling, it feels like years since it's been hère

Petite chérie, cela semble faire des années qu'il avait disparu

Here comes the sun, here comes the sun

Voici le soleil, voici le soleil

And I say it's all right…

En 1972, la proue d’un brise-glace musical pulvérise la résistance des icebergs. Il y a de la mélodie, de la tendresse, de l’ésotérisme, une montée harmonique qui débouche sur un orgasme paroxysmique de violence musicale. Une étoile de plus au firmament du rock, déboule Stairway to Heaven, un grand millésime musical de Led Zeppelin à savourer immodérément :

Et comme nous serons sur la route

Nos ombres plus grandes que notre âme

Il marche une dame que nous connaissons tous

Qui brille de lumière blanche et veut montrer

Comment tout tourne encore à l'or

Et si vous écoutez très fort

L'air viendra à vous enfin

Quand tous sont un et tout est

Être un rocher et ne pas rouler

Et elle achète un escalier qui mène au paradis…

Puis, violette timide qui pointe dans un pré de neige fondante de printemps, une petite variété toute frissonnante d’exotisme me trouble. J’y vois un signe – on interprète ce qui conforte le récit de soi. J’ai l’impression indiscutable que l’Inde et sa mystique m’appellent dans la chanson prière de Ravi Shankar, avec flûte et sitar :

Where are you?

I am missing you, O ! Krishna,

Where are you?

Though I can’t see you

I hear your flute all the while.

Though I can’t see you

I hear your flute all the while.

Please come wipe my tears

And make me smile.

Please come wipe my tears

And make me smile.

Where are you?

I am missing you, O ! Krishna,

Tu me manques, Ô Krishna,

Où es-tu?

Tu me manques, Ô Krishna,

Où es-tu?

Si je ne peux pas te voir

J'entends ta flûte tout le temps.

Si je ne peux pas te voir

J'entends ta flûte tout le temps.

N'hésite pas à venir essuyer mes larmes

Et à me faire sourire.

N'hésite pas à venir essuyer mes larmes

Et à me faire sourire.

Tu me manques, Ô Krishna,

Où es-tu? …

Cette chansonnette, qui arrive en écho à My Sweet Lord de George Harrison, colore mes aspirations d’une mystique floue, exotique et sans doute compensatoire.

En appelant le seigneur Krishna, je ne le sais pas encore, je cherche maladroitement à me convoquer.

Là je dois faire une pose explicative. On est dans les années 60-70, dans nos musettes bigarrées on n’a rien pour écouter de la musique – sorry, mais non, il n’était pas encore né l’indispensable portable qui donne l’illusion d’être à la maison, où que nous soyons dans le monde, en écoutant et voyant sur son écran ce qui capte déjà notre attention quand nous ne voyageons pas.

Avec mes compagnons de route de l’époque, enfants du vent et du Rock, nous exerçons nos mémoires et de partout nous sifflotons, chuchotons, chantonnons, parfois gueulons les chansons qui nous font chaud au cœur, quand le drapeau de l’espoir est en berne ou quand celui de l’insolence de notre liberté veut se hisser au-dessus des contingences.

Revenons aux musiques qui m’habitent depuis toujours ou presque.

Je déploie le tapis rouge devant une des plus fidèles chansons, Everybody’s Talkin’, de Harry Nilsson, une des rares qui ne m’a pas abandonné quand j’ai changé de cap, tiré d’autres bords :

I'm going where the sun keeps shining

Je pars pour un endroit où le soleil continue de briller

Through the pouring rain,

À travers la pluie battante

Going where the weather suits my clothes

Je vais là où le temps est adapté à mes vêtements

Banking off of the north east winds

Virant sur l'aile des vents du nord-est

Sailing on a summer breeze

Voguant sur une brise d'été

And skipping over the ocean like a stone

Et sautant par dessus l'océan comme une pierre…

On The Road Again de Canned Heat, avec son intro bleue en frisson de tampura, sa porte d’arpèges, sa plainte d’harmonica avec ce rythme ternaire propre au blues, m’a invité des milliers de fois à lever le pouce en beuglant « On The Road Again », prêt à bondir dans n’importe quel véhicule pour peu qu’il ait du carburant pour aller tâter de l'Ailleurs.

Et voilà, en vacarme de moteurs assourdissants, en odeur de gasoil brûlé, en rafales de pluie, en routes glissantes, en envies brutes d’en découdre, un hymne à la route, la chanson Born To Be Wild – né pour être déchaîné –, un cri des loups des steppes, du groupe canadien Steppenwolf qui tient son nom de l’ouvrage éponyme de l’auteur Hermann Hesse :

Get your motor runnin'

Mets en marche ton moteur

Head out on the highway

Fonce vers l'autoroute

Lookin' for adventure

Cherchant l'aventure

And whatever comes our way

Et tout ce que nous trouverons sur notre route

Yeah Darlin' go make it happen

Oui chérie vas-y fais en sorte que ça se produise

Take the world in a love embrace

Prends le monde dans une étreinte d'amour

Fire all of your guns at once

Fais feu de tous tes pistolets à la fois

And explode into space

Et explose dans l'espace

I like smoke and lightning

J'aime la fumée et la foudre

Heavy metal thunder

Le tonnerre du lourd métal

Racin' with the wind

Faisant la course avec le vent

And the feelin' that I'm Under

Et le sentiment que je suis dessous

Yeah Darlin' go make it happen

Oui chérie vas-y fais en sorte que ça se produise

Take the world in a love embrace

Prends le monde dans une étreinte d'amour

Fire all of your guns at once

Fais feu de tous tes pistolets à la fois

And explode into space

Et explose dans l'espace

Like a true nature's child

Comme un vrai enfant de la nature

We were born, born to be wild

Nous sommes nés, nés pour être déchaînés

We can climb so high

Nous pouvons grimper si haut

I never wanna die

Je veux ne jamais mourir

Born to be wild

Né pour être déchaîné.

On ne peut pas passer sous silence la chanson légendaire Blowin' In The Wind de mister Bob Dylan que n’importe quel gratteur de guitare propose en soirée, que ce soit sur une plage d’Íos, dans l’archipel grec de la mer Egée, ou pendant une full moon party à Goa, prenant souvent l’air inspiré de celui qui sait ce que le vent souffle. Je confesse, je m’y suis essayé, timidement certes, mais j’ai vite confié au vent mes vanités de musicien  pour qu’il les écarte de moi :

How many roads must a man walk down

Combien de routes un homme doit-il parcourir

Before you call him a man ?

Avant que vous ne l'appeliez un homme ?

The answer, my friend, is blowin' in the wind,

La réponse, mon ami, est soufflée dans le vent…

 

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À propos

Jean-Pierre Brouillaud

Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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C
Merci pour ce voyage dans l'air et dans le temps...Memories!Love!
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M
Merci pour ce beau voyage en chansons avec admiration et gratitude !!
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