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A Pascal Taglang

Inde 2011

Inde 2011

Le drame du succès, c'est que la recette pour y parvenir est la même que celle pour arriver à la dépression nerveuse.

Non Pascal il n'est pas loin le temps où nous écoutions des trente trois
tours qui craquaient et qui avaient de grandes pochettes illustrées,
Crosby Still Nash and Young, America, Gong et sa médina sonore où
nous nous égarions avec délectation, rêvés par des aventures qui nous clignaient de l'oeil à tous les coins de rue.


Je revenais d'un insouciant Amsterdam où un certain esprit de liberté soufflait encore, où les nomades de mon espèce dormaient dans le parc Vondel et plus que jamais, dans la chambre de notre amie Catherine Turke, en proche banlieue-Est, nous rêvions de voyager à travers l'Asie de nos songes.
Toi tu te levais de très bonne heure, faisais les marchés, et tu économisais comme tu le pouvais - ça n'a jamais été ton fort l'épargne - en vue de partir vers le lieu de notre commune fascination : les Indes lointaines.

Le monde des sâdhus, surtout les Naga Baba, ces mystiques errants, nous paraissait être un aboutissement, l'homme qui ne possède rien et n'attend plus rien.

 

" Monsieur Gregory Corso, qu'est-ce que la puissance ? "
".... être seul au milieu d'une rue et n'attendre personne ! "
répondait Yves Simon, le chanteur avec qui nous " fumions des gauloises bleues ".


Cette fascination pour ces ascètes était en tout cas un clin d'oeil moqueur à notre société matérialiste, où le modèle désigné était l'individu, qui possédait pouvoir, notoriété, argent. C'était peut-être aussi une tentative de revanche que nous espérions prendre sur cet occident, où nous ne savions pas trop comment occuper notre place. Notre romantique rébellion ne se traduisait que par nos cheveux longs et nos vêtements bariolés .

A Pascal Taglang

C'était le temps des livres qui attisaient notre soif d'aventure :
Narcisse et Goldmund, Siddharta, ouvrages d'Hermann Hesse, je veux regarder dieu en face de Michel Lancelot, sur la route de Jack Kerouac, une époque où nous ne savions incontestablement pas ce que nous voulions mais où nous savions ce que nous ne voulions pas !

Pascal tu as vécu avec un sâdhu shivaïte, marché le long des routes de l'Inde, mendié en jouant de l'harmonium, et vécu un de ces faits improbables dans une petite gare dans l'état de Jammu Cachemire, je crois.
Patrick, dit le Belge, un compagnon de route que je t'avais présenté une année auparavant à Paris, avait appris par mes parents que j'étais,
comme l'on disait alors, quelque part sur la route des Indes.
Il se lança à ma recherche, demandant à tous les voyageurs s'ils
n'avaient pas croisé un aveugle français.
J'étais si enturbanné, barbu, peut-être un peu taliban avant l'heure,
sectaire et intolérant, qu'il ne me reconnût sans doute pas, mais il t'identifia, toi, au milieu de la fantastique foule indienne, dans cette gare d'un des bouts du monde. Mais nous nous étions séparés, et j'étais encore en Iran, à Téhéran, malade, sans le sou mais avec le moral et un compagnon débrouillard.

Patrick ne me retrouva pas............
Il n'est jamais au passé le temps du partage.
De l'amitié passée, ce n'est plus de l'amitié, c'est de la mémoire.

Ensemble chez Farouk à Kaboul : tapis, shilom et musiciens joueurs de
tablas et de tamburs, les inconfortables charpoys dans la cour du Mercedes Hôtel.

 

Pascal et Jean-Pierre à La Gurraz     Pascal et Jean Pierre 

 

Ensemble sur les îles Bijagos, au large de la Guinée-Bissao, au soleil couchant, découvrant une plage déserte, couverte de milliers de crabes, après une marche à travers la jungle.

 

Ensemble aux îles du Salut, un à peine perceptible vent dans le spi du catamaran tandis que se profilait la mangrove sur le littoral.

Atmosphère oppressante, dans les cellules mangées par une végétation

Arrogante, où croupirent les bagnards sur l'île du Diable.

 

Ensemble même quand je suis en Ardèche et toi en Guyane.

 

Ensemble dans ce refuge à Saint-Véran, enfin rejoint à l'inquiétante tombée de la nuit, après une trop longue marche en tennis dans de la neige où nous nous enfoncions jusqu'en haut des cuisses ?

Nous  étions si harassés que ni Marie, ni toi , ni moi , avions envie de nous

lever du bat-flanc où nous nous étions assis lourdement pour aller mettre de l'eau à chauffer sous la gamelle de nouilles.

                       

En 1980, je faisais une halte à Paris, entre le Canada et la Thaïlande, et nous louâmes cet appartement miteux à Belleville avec Philippe, un autre aveugle avec  qui nous avions levé l'ancre ensemble huit ans auparavant, en  escaladant, de manière irréversible, le mur d'une institution spécialisée dans laquelle nous étouffions.  La douche de cet appartement, qui sentait le moisi, lavait plutôt l'acariâtre femme du dessous pourvu qu'elle se trouva au bon endroit, et au bon moment !

 J'entends encore ce filou de propriétaire qui ne voulait pas

nous rembourser la caution. Nous arrivâmes à son coquet domicile à

cinq, il comprit immédiatement le message et nous rendit sur-le-champ notre argent.

Et toi, Pascal, tu pouffais comme une baleine , en grimpant dans l'escalier, et moi, qui tenais à sauver les apparences, à faire le gars déterminé, le mec qui n'a peur de rien, je t'invitais à rire après la transaction, comme si on arrêtait un fou  rire à la demande !

Et pourtant, pourtant, je buvais les livres de Kazantzakis  et je n'entendais pas en toi le rire inextinguible d'Alexis Zorba  quand s'écroula son téléphérique, en Crète, le rire de cet homme libre qui était si  encastré dans le présent qu'il se moquait des résultat, accouplé qu'il était avec son oeuvre.

Pourtant dans cet escalier , à la moquette ostentatoire, c'était bien

Zorba qui riait en toi, mais moi je voulais récupérer notre caution , je voulais faire peur à cet escroc de propriétaire.

 Et un après-midi, à Paris, tu m'invitas, sans explication, à m'arrêter un instant alors que nous marchions gaillardement, ma main droite sur ton épaule . C'était encore et déjà l'humour dont tu es fais, qui te fît imaginer cette scène cocasse où tu me photographias à mon insu devant une vitrine où l'on pouvait lire : "meilleur ouvrier de France. "

J'étais sans doute encore en plein flower power comme en atteste mon accoutrement, à San Francisco en été 1967 !

 

Mon cher Pascal, ne parlions-nous pas récemment d'un possible projet commun au nord de la Colombie ? Cette fois-ci je serai le photographe, présentable, je ne sais pas, mais au présent, oui ; et toi le meilleur ouvrier de Kourou où tu rends étanche toits et terrasses .

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À propos

Jean-Pierre Brouillaud

Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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