26 Avril 2010
« Les mots sont les passants mystérieux de l’âme. »
Victor Hugo
Si, dans le quotidien on montre infiniment plus ce que l'on est par nos actes, plus que par ce que l'on sait et ce que l'on affirme, dans l'écriture, rôde le danger de se déployer beau parleur plutôt que vivant.
C'est la page du présent de celui qui écrit qui défile sous le regard du lecteur, si elle n’est que de l’information mémorisée et non pas du jaillissement vivant, il n’y aura aucune communion entre eux.
Une écriture vibratoire ne sort jamais de la bouche édentée du passé, elle nous rend passant.
Quand on écrit uniquement à partir de mémoires qui se bousculent,
se télescopent et font de petits brouhahas qui n'en finissent pas, c'est l'ombre de soi par omission et ostentation qui éructe les mots ossifiés du paraître. Là une hémorragie est proposée et si le lecteur ne se protège pas et devient complice de nos trop-pleins, il perd son repos, sa solitude, celle qui découle du partage, de la communion. Le lecteur alors se retrouve isolé comme le fut l'écrivain débordé par ses vidanges mémorielles de mots. Et en fait ce n'est pas une solitude mais un isolement qu'il vit, car la solitude relie tandis que l'isolement sépare.
La solitude est une perception interactive où chaque chose et chaque être sont reliés par un fil d'amour invisible.
L'isolement confère l'impression pesante d'incomplétude.
Celui qui se perçoit isolé du reste de la création mange son environnement de différentes manière pour tenter de remplir ses
abîmes de manque. Et ce cannibalisme l'éloigne encore plus de la
solitude qui est indépendance souveraine.
Buvons une fois de plus les mots que floconne blanc comme neige Christian Bobin, dans " Geai " :
" Le malheur c'est que, si vous réussissez à attraper un solitaire, vous le perdez: il n'est plus seul. Ce qui brillait autour de lui commence à s'éteindre. Les vers luisants sont fascinants dans le ciel plein d'herbe des bas fossés. Dans le creux de la main, ils n'ont presque plus de charme et ne donnent qu'une lumière pauvre, avare.
Certaines choses et certains êtres ont besoin de la distance qui les sépare de nous, et que cette distance demeure infranchissable. Ils y puisent leur nourriture. "
Il existe des mots ouverts qui ne font pas de distinction entre applaudissement ou blâme. Leurs racines trempent dans le jardin
incréé du silence.
Un tel écrivain doit écrire de telle sorte qu'il baigne dans sa solitude silencieuse quand la genèse tranquille des mots descend sur lui.
Je ne peux une fois de plus que citer Christian Bobin dont les mots sont (comme je viens de l'écrire plus haut) des flocons de neige. Dès que l'on a ne serait-ce que l'intention de les glisser dans sa poche, ils fondent, mouillent le tissu, puis ils disparaissent. Il ne reste alors que la poche vide, désespérément vide pour celui qui y cherche quelque chose.
Le désespoir ou la frustration du lecteur provient du fait qu'il voudrait en faire un petit quelque chose à quoi s'accrocher, une preuve. Mais les preuves ont besoin d'un témoin neutre.
Là où il y a amour il n'y a pas de témoin.
" Qu'est-ce que c'est aimer ? Ce n'est pas s'enfermer dans la même
maison, s'étouffer dans la même parole, s'assombrir dans la même
histoire. Ce n'est pas remplir un vide, effacer une distance.
Aimer c'est prendre soin de la solitude de l'autre - sans jamais
prétendre la combler ni même la connaître. "
Aimer c'est dire oui à la solitude de chaque être.
Ce n'est ni donner, ni prendre, c'est communier dans une attention débarrassée de tout sentiment d'amour-propre, vidée de toute intention.
Je parle souvent sous une forme ou une autre de spiritualité. Ne pas confondre avec mystique qui pour moi est plus une projection vers un ciel qui nous aimerait d'une manière absolue et relève du manque d'amour. Le synonyme de spiritualité est indépendance. Ce mot courant est le plus haut combat que l'homme puisse livrer pour atteindre à sa liberté.
Gustave Thibon qui vivait en Ardèche, près de la vallée du Rhône, écrivait:
" Il est amer d'être seul. Mais il est plus amer encore quand on est deux de ne pas faire qu'un seul.
La pire des solitudes gît dans la communion ratée. "
Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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