17 Février 2016
« Vous êtes étonnant, monsieur, et vous avez beaucoup de hardiesse pour voyager comme vous le faites en étant aveugle » est une phrase récurrente, sous laquelle parfois rampe une suspicion, une méfiance à l’égard de ma santé mentale. J’ai envie de révéler à ces gens qui savent ce que l’on doit faire ou ne pas faire qu’un certain Jules Verne, écrivain visionnaire du dix-neuvième siècle, était ami avec Jacques Arago, un aveugle, frère cadet de François Arago, maître de l’Observatoire de Paris. Cet homme fit le tour du monde en accompagnant Claude de Freycinet sur l’Uranie en 1817. Il perdit la vue en 1837 et n’en continua pas moins de voyager des années durant. Le plus stupéfiant apparaît lorsque nous apprenons que dans les coulisses de ces incroyables romans d’aventures Jules Verne avait un homme aveugle qui lui racontait, lui décrivait le monde. Il faut dire que ce fabuleux romancier ne quitta guère Amiens où il vivait à l’époque. Quand les aveugles décrivent ce qu’ils n’ont pas vu, ça peut donner de prodigieux romans !
Il y eut aussi ce lieutenant de la Couronne britannique, James Holman — encore un de mes prédécesseurs — qui voyagea de longues années, à pied et à mulet, tout en étant aveugle.
Plus proche de nous, en 1974, il y eut cet aveugle que je cherche (si vous le connaissez, merci de me mettre en contact avec lui), qui errait dans la campagne espagnole. Un certain Patrice Franceschi — oui, l’homme de La Boudeuse et d’innombrables aventures — passait par là ; il se rendait au Portugal avec un ami. En pleine campagne, ils virent cet homme qui tendait le pouce et s’arrêtèrent pour le prendre à leur bord. Patrice découvrit avec stupéfaction, tandis que l’inconnu se rapprochait de leur voiture, que l’auto-stoppeur tenait une canne blanche. Effarement ! Il devait s’agir d’un faux aveugle, un type exhibant une canne blanche pour déclencher l’apitoiement chez les conducteurs. Mais tout était vrai. Comme quoi le réel est parfois plus imaginatif que nos appréhensions !
Et il y a surtout tous ces anonymes qui ne se disent pas, ces gens ordinaires qui font des choses qualifiées d’extraordinaires par ceux qui n’osent pas, par crainte, par convention, le pas de côté qui signe notre différence.
La plupart de ces informations sont tirées du livre de Gilles Lapouge, "Besoin de mirages", édité au Seuil, en 1999.
" Sur la commode du deuxième étage, à Digne, il y avait un bibelot de quatre sous qui représentait trois singes chinois (à l’époque, ces trois singes étaient sans doute célèbres car j’ai vu les mêmes dans la maison de cousine Marie, aux Sieyes, qui nous offrait toujours une grenadine, et ils me surveillaient pendant que je jouais aux dames avec cousin Élie). Le premier de ces singes se bouchait les yeux de la main, le deuxième les oreilles et le troisième avait un doigt sur les lèvres. Ce groupe représentait le secret du bonheur."
" J’étendrais volontiers la recette des singes chinois à l’art du voyage : ne rien voir, ne rien entendre et ne rien dire. Je vais à la gare, je prends un billet à pile ou face, et, une fois rendu dans un pays dont j’ignore l’histoire, l’ethnologie, la préhistoire, la géographie et la langue, j’admire les montagnes et les vallées qui s’étendent sous mes paupières closes, bien fermées à clef."
" Au dix-neuvième siècle, un Anglais très riche et entièrement aveugle, James Holman, use sa fortune à parcourir la terre. Il est toujours entre la Patagonie et la Russie, et il ne connaît que la langue anglaise. Il visite des centaines, des milliers de nuits. Il escalade des nuits, il cabote dans des nuits, il explore les archipels de la nuit."
"Que pouvait-il bien voir, Jacques Arago, dans ses divagations noires ? On s’est posé la question et je m’étonne qu’on se la pose. La réponse est d’autant plus limpide que Jacques Arago a pris soin de nous faire les comptes rendus scrupuleux de ses errances. Ces comptes rendus s’appellent : Les voyages extraordinaires de Jules Verne."
" J’ai hésité à dévoiler ce secret littéraire, alors que tant de critiques ont déjà désossé si brillamment l’œuvre de Jules Verne, mais je crois qu’il est secourable de le faire : Jacques Arago, l’aveugle qui bougeait tout le temps, racontait à son ami Jules Verne, qui ne quittait jamais Amiens, tout ce qu’il avait aperçu dans ses yeux éteints. Les livres de Jules Verne ne sont que la sténographie des choses que Jacques Arago croisait dans sa nuit : un gros canon pointé sur la lune, le dedans du volcan Snaefellsjökull, en Islande, et le Centre de la terre, les sables et les poulpes aux yeux de soie du dessous des mers, des îles mystérieuses, un sphinx dans les glaces et des Indes noires, et un rayon vert que nul ne saurait voir s’il n’est aveugle."
Laissons-nous surprendre ! Les sourds entendent ce que souvent nous n’entendons pas. Irons-nous jusqu’à dire que certains aveugles voient l’invisible que les yeux se cachent ?
Peurs et désirs sont les géniteurs de croyances qui nous figent dans des comportements répétitifs.
Souvenons-nous que le ciel est toujours bleu derrière les nuages les plus sombres.
Je crois que ce qui est étonnant ce n’est pas ce que nous faisons mais ce que nous ne faisons pas alors que nous en avons envie !
Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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