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La sagesse des herbes folles

La sagesse des herbes folles
La sagesse des herbes folles
La sagesse des herbes folles

Dans le pas hésitant des muletiers au Nicaragua,

Dans le claquement des voiles soufflées par les alizés,

Dans le feu ardent d’une forge en Afrique,

Dans le hurlements du blizzard, l’humidité du noroît,

Dans l’aigre-doux d’un violon tzigane,

Dans le vent de sable brûlant du Chergui,

Dans les affolements des boussoles émotionnelles,

Dans la solitude, les rencontres,

Je me suis fait voyageur,

Pour te chercher, chercher,

Sans savoir qui tu étais,

Sans savoir qui j’étais.

 

Hévéas, manguiers, sycomores, noirs séquoias,

aux soleils de midi, vous m’avez offert vos ombres,

Vos larges feuillages aux pluies tropicales,

Quand je suivais en brousse les pistes brouillées des animaux méfiants,

Pensant que les chemins coulaient vers de glorieux ailleurs,

Vers des horizons mystiques,

Merci, arbres, pour votre fraternité complice,

Animaux pour votre discrétion,

Hommes qui m’avaient rejeté, recueilli, guidé, conseillé.

 

Intrigué par un aghori méditatif,

En Inde, sur un terre-plein de crémation,

Fébrile, au Pérou, à la recherche d’or dans la fange,

Dans les rires gras des tavernes et des bordels portuaires,

Entre le Nil et l’Euphrate,

Le Rio de la Plata et le Saint-Laurent,

Entre la colère écarlate et la peur astringente,

Dans les étreintes adultères ou les plaisirs solitaires,

Les soirs de faim, les soirs d’abondance,

Dans les marchandises volées, dans les trains fraudés,

Dans le silence des lieux de cultes,

Dans les foules en liesse des concerts de rock,

Perdu dans le fog londonien ou transporté par les tam-tams guinéens,

Invisible au cœur du visible,

Je t’ai appelé, en silence, mots, cris, orgasmes,

Sans te donner de nom, de visage.

 

Je t’ai appelé, appelé,

Un dans le multiple,

Présence dans l’absence,

Je me suis appelé, appelé,

Conscience de l’inconscience,

Immuable dans le changement. 

 

J’ai ouvert des livres, ils étaient pleins de mots, de mots passants,

Passés, dépassés, trépassés,

Quand, fiévreux, j’y soupçonnais des mots clés,

Avec une herbe folle chapardée au fossé,

Entre deux pages j’y posais la rassurance d’un signet,

Mais l’irrévérence du vent l’emportait en un éclat de rire grinçant.

 

J’ai visité des musées,

Ils ne collectionnaient que du passé.

J’évitais les intellectuels, les penseurs,

La complexité de la pensée finit par étouffer la spontanéité du cœur,

Ils expliquaient, savaient pour les autres,

Je ne savais déjà pas pour moi !

Je les ai laissés aux musées,

Loin de la sagesse des herbes folles.

 

« Il y a bien un autre monde », écrivait Paul Éluard, écolier trop impatient, je n’avais pas lu la phrase en entier,

Je suis parti à sa recherche, du Khorasan au Colorado,

Dans un bouge panaméen j’ai retrouvé le poème en espagnol,

Je l’ai lu plus attentivement,

Il disait que cet « autre monde » n’est pas ailleurs mais bien « dans celui-ci ».

 

Pas ailleurs, donc pas demain,

Ni temps ni espace.

 

J’ai regardé autour de moi,

J’ai regardé celui qui regardait,

J’ai vu cela qui regardait,

Ô apparent paradoxe,

Tous, ils disaient que j’étais aveugle,

Un temps de distraction j’y avais cru,

Là, dans la salsa, le merengue, le mauvais rhum,

Dans les postures licencieuses des hommes naufragés,

Je découvrais miraculeusement que j’étais regard,

Un regard qui ne voit rien,

Rien,

Mais qui éclaire tout,

 Tout.

 

Si les hommes sont fous, les herbes folles ne le sont pas.

Des talus, des fossés, sereines,

En sourires verts ou jaunes, selon le rythme des saisons,

En joyeuse soumission,

Elles regardent passer voitures, vélos, piétons.

 

Partie de cache-cache,

Un autre soir d’errance,

Que ce soit ou pas au Kashmir, à Kashgar, en Kabylie, à Florence,

Dans les herbes folles, je me suis accroupi, sans réfléchir,

En vrai, en rêve, en dire, en jouir,

Je ne sais pas, je ne sais plus,

Je ne veux pas savoir,

Je m’en fous, contrefous,

En verte sagesse herbacée, elles disaient :

« Pèlerin, ne cherche plus à comprendre, sois un avec ce qui est ».

 

J’ai enfin entendu prier les pierres du chemin,

Le mouvement soyeux du métier à tisser des étoiles,

Le coassement jubilatoire des grenouilles,

Le murmure filamentaire des mycéliums,

Et le vent qui dansait autour de moi en chantant, chantant :

« Tu n’as plus besoin de signet pour te souvenir de ce que tu lis »,

J’ai répondu en dansant, dansant  sous une pluie d’étoiles :

« Il n’y a qu’un seul livre, le seul qui délivre,

Il n’est pas à lire, mais à vivre. » 

 

Le vent complice m’a pris la main,

C’était la fin des chemins qui prétendaient mener quelque part,

Je pouvais marcher pour rien.

 

Je ne flânais plus dans les ruines du passé

Ni dans l’architecture mentale de l’avenir.

Adieu Thésée,

Plus de minotaure dans mon labyrinthe cérébral !

 

 Restait, comme l’écrit Hélène Dorion :

« à habiter la lumière de chaque chose et l’ombre qui témoigne de son passage. »

 

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À propos

Jean-Pierre Brouillaud

Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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