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Le confessionnal et autres frasques d’adolescent

Le confessionnal et autres frasques d’adolescent

Le jour de mes seize ans, nous invitons Jérémie, mon pote albinos,  dans la fermette de mes parents à la Meignanne. Nous picolons outrancièrement. Pour ma famille, c’est « normal » car nous devenons des hommes, alors alcool et cigarettes participent à notre entrée dans le club des adultes.

Nous écoutons à plein volume l’album « Deep Purple in Rock » qui nous propulse à l’assaut du village. Renégat, hérétique, mécréant, un peu tout ça dans le désordre, je ne trouve rien de mieux que vomir alcool et désespoir dans le bénitier de l’église du village.  

— C’est rock ! Voilà ce que je dis à Jérémie pour tenter de sauver la face et dissimuler l’intranquillité qui jour et nuit marche à mon bras. La cécité me guette. Elle trottine vers moi à petits pas ombreux. Je la vois venir avec ma vision zébrée, piquetée, mais je fais tout pour l’ignorer. Un choc à l’œil dans un angle de table a rajouté au glaucome un décollement de la rétine. Ça se manifeste par la brusque apparition de corps flottants ou de phosphènes dans le champ visuel et par l'amputation lente de celui-ci.

Je sors de l’église en titubant et ricanant. Je raconte à Jérémie que ce n’est pas la première fois que j’affiche mon désaccord avec les intermédiaires cléricaux qui prétendent se placer entre leur Dieu et les brebis égarées.

— Figure-toi, Jéremie, que la veille de ma communion forcée je me retrouve dans le confessionnal, sans vraiment savoir comment ça se passe.

Me voilà dans un lieu sombre et flippant. Quelques secondes d’attente païenne… Comme rien n’advient, je me dispose à sortir, tout en maugréant : font chier ces putains de curés ! Mais au moment où je m’apprête à me carapater, stupéfait, j’entends une voix sourde et doucereuse sortant de je ne sais où :

— Mon fils, parle-moi de tes péchés.

— … Euh, rien à déclarer, m’sieur le curé, rien…

Et de penser, sans doute en écriture de posture : mais qu’est-ce que je pourrais avoir fait qui me mettrait en surcharge immorale par rapport à ce type qui mate les enfants en silence coupable, dans l’odeur d’encens et d’eau bénite ?

Ah, peut-être qu’ici ça mérite une explication de texte : des copains amblyopes étaient passés dans une école catholique et m’avaient parlé d’attouchements qu’ils avaient subis.

Le curé :

— Je ne sais pas, mon fils, des mensonges, des mots grossiers, par exemple…

Forte envie de fulminer : imposteur,  mais tu n’es pas mon père !  

Sans raison précise, ce « rien à déclarer » me poursuivra longtemps, aux contrôles des frontières, à des époques où il était préférable pour mézigue de ne rien déclarer vu que mes marchandises dissimulées étaient parfois franchement illégales… C’est à croire que la confrontation avec le curé dans le confessionnal m’a enseigné la prudence, une méfiance à l’égard des intermédiaires et autres médiateurs.  En résumé, un goût pour la liberté en prise directe, peut-être même pour la responsabilité, celle qui fait que l’on ne répond pas toujours de ses actes mais de leurs conséquences.

Quant au jugement dernier, j’y travaille chaque jour ! Ainsi, à l’endroit de la mort, je pressens quelque chose comme une interrogation, non pas venant d’un Dieu autre que nous, d’un ailleurs, mais disons de la part consciente de soi qui, métaphoriquement, nous tendrait un point d’interrogation en forme de miroir immaculé. On pourrait y lire nettement les intentions qui accompagnèrent nos actes, les rêves que l’on n’a pas osés, la légion de petits moi je que l’on a entretenus, souvent à nos dépens, pour additionner de la tragédie au déjà pathétique film des comédies humaines.

 

 

 

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Jean-Pierre Brouillaud

Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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