28 Mars 2011
1986
Dans l'australien état du Victoria, au Wilsons Promontory National Park, avec ma compagne nous sommes sur le point de nous endormir. J'entends marcher pesamment autour de la tente, puis brouter auprès de nous avec hardiesse.
Je chuchote à Marie que je vais sortir le premier car je n'ai pas besoin de lampe pour approcher l'animal inconnu qui nous rend visite à la même heure depuis trois soirs.
Je me faufile dehors et je m'immobilise.
Marie me murmure que notre visiteur est un wombat.
C'est un animal de l'ordre des marsupiaux, ressemblant moitié à un ourson, moitié à un blaireau. Il est de la taille d'un gros chien, ne se rencontre qu'en Australie. Les gens du cru l'appelle : the walking rock, le roc marchant, car lorsqu'une voiture heurte un de ces spécimens, elle peut être endommagée tellement il est robuste.
J'éprouve une forte attirance vers ce paisible brouteur. Je glisse
silencieusement vers lui, il recule un peu, je reste tranquille, devenant
respiration imperceptible ; il ne semble plus être sur ses gardes. Je me rapproche à quatre pattes, si près de lui qu'un instant je pose ma main sur son dos. Il s'éloigne mais sans ostentation.
Je suis tout bouleversé par ce contact.
Les animaux sauvages sont toujours source de frustration pour un aveugle car seuls les yeux peuvent les appréhender à moins d'avoir développé d'autres facultés relevant du registre de la pure sensation.
Hier matin nous avons découvert un koala dans un eucalyptus. Je suis resté les sens aux aguets au pied de l'arbre,
et ma relation avec lui ne fut qu'information descriptive, vécu de seconde main, autant dire presque rien. Il dormait, ne bougeait pas, sans doute rassasié. Cela illustre la différence qu’il y a entre communication et communion, autrement dit entre être informé et être en relation.
Mais le wombat mâchonne paisiblement près de nous et ma main est encore toute pleine des frémissements qui l'animèrent au moment où je la posai sur son dos trapu.
Que ce soient les impalas et les gnous en Afrique Orientale ou ce léopard des neiges qui s'enfuit devant nous à plus de 5000 mètres d'altitude au Népal, dans le col de Torangla, ou encore les chimpanzés du haut Zaïre, les aigles de l'Hindu Kush, ou l'anaconda en digestion à un mètre de notre pirogue sur un rio équatorien, ce monde de poils et de plumes frémissants, de glissements imperceptibles, de captations sensitives, échappe à l'aveugle à moins que lui-même ne descende dans les sensations subtiles en se débranchant de ses représentations mentales.
Je ressens encore ces élans de fuite sous la forme de plumes et d’extrême nervosité de cette mouette capturée en plein vol par la main du pêcheur avec qui je navigue au large du village Sénégalais de Popenguine. Ce léger corps n’est que frémissements qui ressemblent à si méprendre à de la panique. C’est de la peur en plumes, un désir farouche de recouvrer la mobilité.
Bien sûr je suis ravi de tenir cette petite sœur des mers affolée dans ma main, mais sa soif de liberté est si irrésistible que j’ouvre rapidement ma cage de doigts pour qu’elle redevienne vent avec le vent.
Amoureux de l'inconnu voyageant pour l'Aimer davantage !
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